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objets les plus voluptueux même ne sauraient me donner un grand plaisir[1]. »

Comment donc ces lettrés, qui ne parlent que d’intelligence, n’apercevaient-ils pas ce que l’opéra de leur siècle, cet opéra surtout récitatif, comportait justement de littéraire, ou de littéral, et par conséquent d’intellectuel ? Comment ne tenaient-ils pas compte à la musique, et ne lui savaient-ils aucun gré de son respect envers la poésie, de son amour pour la parole ?

C’est que trop souvent la parole que chantait la musique, méritait assez peu leur admiration ou seulement leur estime. Dans l’article cité précédemment, M. René Doumic a jugé la poétique de Quinault avec une rigueur à peine exagérée. Chez le librettiste de Lully, dit-il, « l’amour est l’unique ressort du drame, comme il est l’unique mobile des personnages et le thème unique du dialogue et de la déclamation. On sait assez de quels conseils est faite la morale amoureuse de Quinault : c’est une continuelle invitation à aimer, à profiter de la jeunesse, à suivre l’instinct en dépit des empêcheurs de s’aimer à la ronde. »


Hélas ! petits oiseaux, que vous êtes heureux
De ne sentir nulle contrainte
Et de pouvoir suivre sans crainte
Les doux emportemens de vos cœurs, amoureux !


M. Doumic se borne à cette maxime. On en relèverait cent autres pareilles, ou pires : témoin celle-ci, qui serait inconvenante ou déplacée partout, mais qui l’est plus que nulle part ailleurs dans Alceste, l’opéra conjugal par excellence, ou qui devrait l’être :


L’hymen détruit la tendresse,
Il rend l’amour sans attraits.
Voulez-vous aimer sans cesse,
Amans ? N’épousez jamais.


Sans aller peut-être jusqu’à traiter, avec Boileau, de « lubrique » la « morale » dont Quinault a prodigué les « lieux communs » dans ses opéras, il est permis de la trouver licencieuse, ou du moins facile. « Il faut convenir qu’il y a toujours quelque

  1. Cité par M. Romain Rolland. Voyez encore : Saint-Évremond, Lettre sur les opéras. « Une sottise chargée de musique, de danse, de machines, de décorations, est une sottise magnifique, mais c’est toujours une sottise. »