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réparer les défaillances du poète, et puisque, à défaut de l’un et de l’autre, on peut toujours compter sur le machiniste. »

Le malheur, ou l’un des malheurs de l’opéra de Lully fut justement l’abus des machines, de la décoration, de tous les accessoires que la musique n’était pas encore de force à dominer, pour occuper, comme elle le doit, la première place. Elle n’avait pas non plus, ou du moins pas toujours, le pouvoir de « réparer les défaillances du poète. » Toujours en retard de cent ans, de même qu’elle le fut en Italie sur les arts plastiques, elle l’était en France, au XVIIe siècle, sur l’art du théâtre. « L’ébauche d’un grand spectacle, » a dit La Bruyère de l’opéra. La musique également n’était alors que l’ébauche d’un grand art, du grand art d’expression et d’analyse qu’elle est devenue aujourd’hui. La tragédie, au contraire, en était la perfection. Très sensibles à cette inégalité, les contemporains n’ont pas fait crédit à la musique. « Ce qui me fâche le plus de l’entêtement où l’on est pour l’opéra, c’est qu’il va ruiner la tragédie, qui est la plus belle chose que nous ayons, la plus propre à élever l’âme et la plus capable de former l’esprit. » Quand il se plaignait de la sorte, Saint-Evremond ne prévoyait pas que l’opéra deviendrait cent ans plus tard, — avec Gluck et Mozart les premiers, — une aussi belle chose que la tragédie, et que, l’ayant ruinée en effet, il mériterait peut-être de nous consoler de sa ruine.

Mais la musique dramatique ne faisait alors que de naître. Bornée à l’imitation de la parole, elle allait rarement jusqu’à la surpasser, jusqu’à verser dans une poésie insignifiante le sens profond, infini, qu’elle possède elle-même. Elle le possédait à peine encore. Verbale avec puissance, avec finesse, elle était surtout, sinon seulement verbale, et, malgré l’apparente contradiction des termes, c’est peut-être parce que la musique de Lully fut trop littéraire, que les lettrés ne l’ont pas comprise ou devinée.


III

De Lully à Gluck, le développement de l’opéra n’est pas moindre qu’il n’avait été depuis les premiers Florentins jusqu’à Lully. Chacun des élémens de la musique a continué de se former. La mélodie est désormais un organisme parfait : il n’y a pas un air d’Orphée qui ne l’atteste. Quant à ce que peut déjà l’orchestre, Orphée également, — sans aller jusqu’à l’Iphigénie en Tauride, —