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alors que les ouvriers les plus intelligens, les plus avancés dans la voie d’une solution de la question sociale, ne veulent plus en entendre parler. Au récent congrès des Trades Unions à Huddersfield où un million et quart d’ouvriers étaient représentés, la Socialisation des moyens de production et de distribution ne figurait même pas à l’ordre du jour. Un social-démocrate anglais, M. Hyndmann, un bourgeois, déverse à ce sujet, sa colère sur les Unions. M. Bernstein constate qu’en dépit de quelques votes socialistes occasionnels, aux précédens congrès, il faut croire avec Engels que les ouvriers anglais ne songent nullement à renverser l’ordre capitaliste, mais à en tirer le meilleur profit possible, au moyen de l’organisation et des grèves. Les politiciens socialistes ne sont, pour les Unions, que des démagogues ou des utopistes. Cependant l’évolution capitaliste, d’après la doctrine marxiste, mène nécessairement au collectivisme ; la concentration de plus en plus grande des industries y conduit d’une façon inéluctable. La production, disent les marxistes, a commencé dans le monde par la famille, puis elle s’est continuée par la corporation fermée. Les découvertes techniques et les nécessités d’une production démesurément accrue, démocratique, ont créé le régime de la grande industrie, de la concurrence libre : et voici que maintenant se produit un nouveau phénomène, la concentration croissante des industries, l’organisation des grands monopoles capitalistes, les trusts qui écartent la concurrence. On connaît le développement considérable des trusts aux États-Unis. Les syndicats capitalistes se forment de même dans tous les pays industriels. Ils suppriment (grâce au protectionnisme, il est vrai) les entreprises concurrentes, règlent la production, fixent les prix du marché, et prélèvent sur les consommateurs des bénéfices considérables. D’après la théorie socialiste, il arrivera un moment où le public réclamera la transformation des syndicats capitalistes en entreprises nationales. L’État deviendrait ainsi producteur, voire débitant au détail du charbon, du pétrole, du sucre, de l’alcool, comme il l’est déjà pour le tabac, et le profit colossal de quelques-uns irait à la communauté. Le Congrès socialiste international considère les trusts comme une phase d’évolution nécessaire, comme une étape indispensable, et il demande aux socialistes de ne pas chercher à les combattre par voie législative, contrairement à l’opinion publique si surexcitée aux États-Unis. Une législation contre les trusts serait une législation