Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rétrograde. Il faut seulement que les classes ouvrières opposent à ces syndicats capitalistes, qu’on nomme trusts ou cartels, des organisations ouvrières d’égale puissance, qui soient capables de défendre contre eux les intérêts du travail[1].

Le collectivisme est ainsi le but final vers lequel nous voguons à pleines voiles et, afin de hâter l’entrée dans le port, il faut exciter le combat de classes. Ce n’est nullement par amour pour la paix, mais par un sentiment tout contraire, que les socialistes se proclament partisans de la suppression des armées permanentes, adversaires irréductibles du militarisme ; — la guerre, et les armées nationales font obstacle à la guerre des classes. — La citoyenne Rosa Luxembourg, petite juive polonaise des provinces allemandes, aux traits anguleux, à la voix froide et monotone, à la démarche légèrement claudicante, qui possède en Allemagne la spécialité des discours intransigeans et jouit de plus de prestige dans les réunions publiques qu’elle n’exerce d’autorité dans le parti, était chargée d’exposer au Congrès les décisions de la Commission de la paix internationale. Cette question non plus n’a pas été discutée, bien qu’elle ait donné lieu à de vives polémiques chez les social-démocrates allemands. M. de Vollmar, qui répond d’ordinaire avec une ironie si moqueuse aux thèses excentriques de Mlle Rosa Luxembourg, ne s’est pas donné cette fois la peine de la contredire. — Comme au temps de Lassalle, il existe parmi les socialistes allemands un courant patriotique. L’opposition antimilitariste vise surtout Guillaume II. La question des milices a été longtemps discutée dans les revues et les journaux du parti. Les social-démocrates allemands ont fait repousser au Congrès international de Bruxelles la grève militaire, proposée par M. Domela Nieuwenhuis et appuyée par

  1. Les anarchistes révolutionnaires critiquent dans leurs Revues cette théorie des social-démocrates sur les trusts. C’est là pour eux, non pas même du socialisme, mais du Capitalisme d’État, ainsi que le Ministre des Finances, M. de Witte, le pratique en Russie, par exemple. Les marxistes, disent-ils, considèrent comme la source principale de tous les maux de la société présente ce fait que les capitaux se concentrent entre quelques mains, et que, par suite, les masses sont prolétarisées. Et ils n’y voient qu’un remède, non la dispersion de la richesse, mais sa concentration entre des mains uniques, celles de l’État, et des élus chargés de l’administrer. Songez alors à ce que serait la concurrence électorale, et combien plus âpre encore que la concurrence économique actuelle, devant un pareil budget ! Au sein de la société présente, les capitalistes jouent le rôle des brochets dans un étang, ils avalent tout le menu fretin ; mais, dans la société collectiviste, l’État jouerait le rôle de la baleine, et l’humanité vivrait dans son ventre, comme Jonas.