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divorce. La question paraît donc oiseuse, du moins pour le présent. Mais les socialistes n’en considéraient pas moins la solution qu’ils demandaient au Congrès comme très importante. De la réponse du Congrès dépendrait, en une certaine mesure, le sort des élections futures. Si le Congrès justifiait M. Millerand et ses amis, ceux-ci s’en autoriseraient dans leur propagande pour ruiner l’autorité de M. Guesde et de M. Vaillant ; s’il désapprouvait M. Millerand, ce blâme implicite servirait pour ainsi dire de plate-forme électorale aux socialistes antiministériels et permettrait de désigner les amis de M. Millerand, M. Jaurès, M. Viviani et M. Millerand lui-même, comme de mauvais socialistes, des radicaux larvés.

D’autre part les socialistes étrangers, mis ainsi en demeure de se prononcer entre les frères ennemis, se trouvaient dans un grand embarras, non pas seulement, comme on l’a dit, parce qu’ils ne se souciaient guère de donner raison à l’un plutôt qu’à l’autre, et d’aggraver ainsi la discorde, lorsqu’ils auraient voulu, au contraire, favoriser l’unité ; mais parce que la présence d’un socialiste au ministère français les gène parfois eux-mêmes dans leur opposition à leurs gouvernemens respectifs. C’est ainsi qu’au Reichstag un conservateur raillait l’intransigeance des social-démocrates et leur citait l’exemple de « Son Excellence le camarade Millerand » qui vote sans se faire prier le budget de l’armée.

Les socialistes les plus marquans de tous les pays s’étaient prononcés individuellement dans un sens défavorable. M. Millerand n’avait eu pour lui que trois réponses approbatives, émanant il est vrai d’anciens ouvriers, ce qui leur donne quelque poids : Louis Bertrand et Anseele en Belgique, Keir Hardie en Angleterre. Le Congrès s’est tiré de ce pas difficile par une sentence sibylline qui rappelle encore les oracles que Panurge avait tant de mal à interpréter :


Jeûnez, prenez double repas,
Défaites ce qu’était refait,
Refaites ce qu’était défait.
Souhaitez-lui vie et trépas,
Prenez-la, ne la prenez pas.


C’est M. Kautsky, le grand théologien marxiste, qui avait été chargé de rédiger la décision fatidique. Il disait à peu près ceci :

Dans un état démocratique moderne, la conquête du pouvoir politique ne peut être le résultat d’un coup de main, mais bien d’un long et pénible