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Le livre de M. Edmond de ne vers, qui reproduit sur ce sujet les argumens des adversaires de l’ « américanisme, » m’en offrirait l’occasion naturelle ; mais la question est de celles que je ne saurais traiter incidemment, et je me contenterai de quelques observations. Si, dans nos pays catholiques d’Europe, en France ou en Italie, par exemple, nous ne comptions comme catholiques que les seuls pratiquans, combien croit-on qu’on en trouverait ? Les catholiques d’Amérique sont presque tous des pratiquans. En second lieu, si beaucoup d’émigrés catholiques sont passés à l’indifférence religieuse ou à la « libre pensée, » combien d’émigrés protestans ne sont-ils pas dans le même cas ? Or, non seulement les catholiques d’Amérique, au chiffre de 12 millions, sont plus nombreux qu’aucune des grandes « dénominations » protestantes, — épiscopaliens, presbytériens, méthodistes, baptistes ou luthériens, — mais il ne s’en faut qu’à peine de 3 ou 4 millions que leur nombre soit égal à celui de toutes les dénominations protestantes réunies. Il faut bien en effet le savoir, que, de 80 millions d’Américains, il n’y en a pas plus de 30 millions qui soient inscrits au recensement sous une dénomination religieuse quelconque ; et ainsi, pour apprécier la situation du catholicisme aux États-Unis, il ne faut comparer le nombre des catholiques ni à ce qu’il pourrait être, ni au chiffre total de la population des États-Unis, mais seulement au chiffre des protestans qui pratiquent. Ajoutez en passant que, de 8 ou 10 millions de nègres, il n’y en a pas plus de 250 000 ou 300 000 qui soient catholiques : les nègres chrétiens sont presque tous méthodistes ou baptistes. Les progrès du catholicisme aux États-Unis sont donc relatifs, j’entends relatifs à ceux du protestantisme ; mais ils sont d’autant plus remarquables que, comme nous l’avons dit, et dans notre siècle même, tout ce que l’intolérance protestante a pu faire pour les contrarier, elle l’a fait ; qu’en s’en prenant au catholicisme dans la personne des Irlandais, elle n’a pas moins travaillé à maintenir une suprématie de race qu’à détruire une communion qui lui semblait, et à bon droit, ennemie de cette suprématie ; et qu’enfin la victoire du catholicisme a été celle non seulement du catholicisme, mais en même temps, et peut-être surtout, de la seule force capable de contre-balancer dans la formation de l’âme américaine l’élément anglo-saxon.

C’est l’explication de ce qu’on pourrait appeler le « nationalisme » du clergé irlandais en Amérique, et, — le dirai-je à ce