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entière cette « latinisation de la culture » dont nous parlions dernièrement ici même ; et, si je puis me servir de ces termes un peu pédantesques, le processus de différenciation a été précédé d’un processus d’unification. C’est ce qui se produit présentement en Amérique. Pour autant que l’on puisse rapprocher des choses si différentes, l’anglicisation des émigrés d’Europe, en s’opérant par l’intermédiaire de l’Irlandais, tend à dégager du mélange de tant de races et de la confusion de tant d’élémens si divers ce qu’il y a pourtant de commun entre eux. « La Révolution française, dit quelque part M. Edmond de Nevers, pour laquelle tant de sang, tant d’énergie, tant d’efforts de tous genres ont été prodigués, a affirmé les droits de l’homme, proclamé l’avènement du règne de la liberté, de l’égalité, de la fraternité : qu’en est-il résulté ? » Nous répondons : Il en est résulté le monde moderne, qui ne serait pas ce qu’il est sans la Révolution française ; et, si l’on veut que nous précisions davantage, il en est résulté cette conception laïque de l’homme universel et moyen pour lequel nos Constituans ont rédigé la Déclaration des droits de l’homme et les Américains de 1783, la Constitution des États-Unis. Ce qui se passe en Amérique, à l’heure actuelle, n’est rien de plus ni de moins que le développement des principes de la Constitution des Etats-Unis, mieux compris, et rendus, si je puis ainsi dire, aux conséquences naturelles dont l’élément anglo-saxon d’Amérique les avait détournés pour le plus grand profit de son idéal de race.

En fait, — et conformément à l’idéal de la Révolution française, qui a été, avant d’être le sien, celui des plus éminens d’entre les signataires de la Déclaration d’indépendance, et j’ajoute celui de nos « philosophes » du XVIIIe siècle ; — il s’agit, non d’établir entre les hommes une égalité chimérique et jalouse qui deviendrait promptement un danger public, mais d’égaliser entre les hommes les chances de la concurrence vitale, et de contribuer en quelque manière, par l’intermédiaire des lois, au libre jeu de la sélection sociale. Partant de ce principe évident, qu’un Allemand et un Irlandais, un Français et un Anglais, un Polonais et un Italien recherchent également d’être heureux, désirent essentiellement les « mêmes biens, » et qu’ils y ont le même droit en tant qu’hommes, il s’agit de faire que leur droit s’exerce aussi librement qu’il le pourra sans nuire à celui des autres, et que, de ce libre exercice, il en résulte la multiplication même des biens auxquels