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rien moins qu’un bourgeois, qui était plutôt un féodal très dur, a pratiqué hautement cette maxime. Combien de fois n’a-t-il pas répété, avec son bon sens impitoyable, que chacun devait s’occuper exclusivement de ses affaires et laisser les autres se tirer des leurs comme ils pourraient. Il avait même, pour traduire cette pensée politique, les images les plus variées et les plus pittoresques. Grâce à lui, une douche glacée a couru sur l’Europe, et toute aspiration désintéressée a cessé d’y trouver un milieu favorable. Cette politique lui a réussi, autant que la politique contraire avait desservi la France : il faut bien tenir quelque compte de cette expérience. M. le comte de Bulow aime à s’inspirer des exemples du prince de Bismarck ; qui pourrait le lui reprocher ? Mais l’empereur Guillaume, bien qu’il soit lui aussi un bon élève du Chancelier de fer, n’a-t-il pas eu parfois quelques écarts de sensibilité juvénile ? Et n’a-t-on pas pu croire un moment que l’idée d’être la providence des Boers souriait à son esprit ?

C’était au moment de l’expédition Jameson : nul n’a oublié le télégramme qu’il a expédié au président Krüger. S’il était resté dans ses sentimens de cette époque, la cause des Boers aurait trouvé en lui un défenseur ou un vengeur, et qui sait si sa puissante initiative n’en aurait pas déterminé d’autres ? Mais il avait mis tant d’impétuosité dans son premier mouvement, qu’il n’a plus trouvé par la suite la moindre force pour y persévérer. Ce souverain ne se pique point de rester fidèle à ses premières inspirations : et qui sait s’il ne le prouvera pas une fois de plus en Chine, où il a paru un moment se réserver une fois encore un rôle providentiel ? Quoi qu’il en soit, il tient une si large place en Europe que celle-ci se trouve un peu désorientée lorsqu’il vient à lui faire défaut. Si l’on se rappelle son fameux télégramme au président Krüger, on sait aussi qu’au moment même où le malheur s’abattait sur le Transvaal, il a resserré les liens qui l’unissaient à l’Angleterre, et est allé faire à la reine Victoria une visite significative. Alors les Boers ont dû se sentir irrémédiablement isolés. De quelque côté que le président Krüger tournât ses tristes et intrépides regards, il ne rencontrait que des gouvernemens impuissans ou indifférons. Il est venu voir les choses de plus près. Qu’a-t-il vu ? Que les sympathies des peuples lui étaient acquises ; et nous ne parlons pas seulement de la France, car il aurait reçu partout, ailleurs un accueil déférent et empressé. Mais, s’il consulte l’horizon politique, il le trouvera sans doute, hélas ! morne et froid. Une aussi grande infortune que la sienne serait faite, assurément, pour réchauffer dans les veines un sang attiédi. Les cœurs en éprouveront une émotion