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LE FANTÔME.

dernières paroles avait saisi le vieillard. Elles se raccordaient trop bien à l’attitude présente de cet homme qu’il avait toujours connu si surveillé, presque si hautain, et qu’il retrouvait comme humilié, comme vaincu, comme brisé dans le principe même de son énergie : — Que vous a dit Éveline ? avait encore demandé Malclerc. Répétez-moi tout. Je peux tout entendre. — Et il avait écouté le récit que d’Andiguier lui avait fait de son entretien avec la jeune femme, accoudé à sa table, le front dans sa main, jusqu’au bout, sans l’interrompre d’une remarque, sans donner d’autre signe d’émotion, par instans, qu’un frémissement nerveux de sa bouche. Ensuite il avait tourné sur son interlocuteur ses yeux bruns, dont le contraste avec la nuance fauve de ses cheveux n’avait jamais donné davantage à d’Andiguier l’idée de sa ressemblance avec quelque ancien portrait, et il avait dit : — Il y a bien longtemps que je vous connais, sans que vous me connaissiez, monsieur d’Andiguier… plus de dix ans… J’ai toujours respecté, vénéré en vous un des plus beaux caractères qui soient. La preuve en est dans cette lettre dont vous a parlé cette pauvre enfant, et que j’avais préparée en effet pour vous être remise après ma mort. Car, c’est vrai, j’ai voulu mourir… Je dis : j’ai voulu. J’ai eu trop pitié d’Éveline cette nuit pour ne pas essayer de tenir la promesse que je lui ai faite de ne plus attenter à mes jours… Je dis encore : essayer… Seul, je ne peux pas… Il avait répété : — Je ne peux pas… Peut-être vous-même, quand vous saurez tout, me direz-vous que je ne dois pas la tenir, cette promesse, et que je n’ai qu’à m’en aller… Et, sur une exclamation de d’Andiguier : — Ne vous récriez pas, attendez de savoir… Puis, tirant, d’un des tiroirs du bureau, la grande enveloppe dont la suscription avait frappé Éveline, et avec une gravité singulière :

— Voici, avait-il continue, les papiers que je voulais vous faire tenir après ma mort, avec un billet où je vous disais ce que je vais vous dire de vive voix. Quand j’eus pris la résolution d’en finir avec une torture intolérable, j’ai pensé qu’au lendemain de mon suicide Éveline en chercherait la raison. Si j’avais été sûr, bien sûr qu’elle ne la découvrirait jamais, je serais parti en détruisant tous les documens en ma possession qui pouvaient servir, non pas à justifier, mais à expliquer ma vie. Je n’en ai pas été sûr. J’ai écrit autrefois des lettres dont je ne sais pas si elles ont été détruites. J’ai eu des gens à mon service, autrefois, dont