Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/752

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
748
REVUE DES DEUX MONDES.

avec une terrasse à l’italienne, à l’extrémité de chaque aile. Par derrière, la colline redressée subitement, et presque à pic, suspendait sa pinède. Il était visible que l’admirable jardin, avec ses beaux arbustes exotiques, avait été conquis sur la forêt primitive, car il était enserré des deux autres côtés par des massifs de ces mêmes pins d’Alep, où le vent éveillait cette rumeur vague et berceuse, si pareille à celle de la mer dans la distance. Je n’avais jamais entendu parler de ce jardin et de cette maison avant de les voir ; on ne m’en avait montré aucune peinture, aucune photographie, et il me semblait que je les reconnaissais, tant c’était l’asile que j’eusse souhaité à une fuite avec Antoinette autrefois, tant l’aspect des choses y parlait de la paix dans la lumière et dans la solitude, tant c’était vraiment l’abri, la retraite où ne plus vivre que pour se sentir sentir !

Un mur à hauteur d’homme partait de chacun des deux piliers et entourait le vaste parc. Après être resté longtemps à regarder cette maison de songe, je me mis à suivre ce mur de l’extérieur, sans autre intention que de donner un but à ma promenade. Quand je fus arrivé dans la partie haute, je vis que, pour assurer aux personnes qui habitaient la villa des perspectives sur la pleine forêt, on avait abaissé la muraille, et, sur les malons, posés à plat, qui la couronnaient, fiché une longue palissade à claire-voie. Je m’assis sur une des pierres du chemin creux, sous les pins, parmi les lentisques et les bruyères, les romarins et les cystes. Cette plante si méridionale, d’après laquelle on a baptisé le domaine, abonde sur cette colline. Il s’en exhale une senteur fine et sauvage, que l’on n’oublie plus quand on l’a respirée une fois. Napoléon prétendait la reconnaître dans l’air marin, à l’approche de la Corse. Moi, je l’associerai toujours maintenant à l’apparition, — car c’en fut une, — qui vint tout à coup me surprendre dans cette solitude, où je me laissais enivrer par mes souvenirs et par la nature, sans plus songer à la curiosité, toute mêlée de remords et d’espérance, qui m’avait amené à Costebelle dès ce matin. J’étais donc plongé dans cette rêverie indéterminée et comme dispersée dans la douceur des choses, quand des bruits de voix, m’arrivant par-dessus le mur, me rendirent à la réalité de ma situation. Des promeneurs ou des promeneuses s’approchaient de l’autre côté du clos, dans le parc. Je me dis soudain qu’il n’était pas impossible qu’Éveline Duvernay fût du nombre. Cette seule idée me fit me redresser et aller vite