Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/765

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
761
LE FANTÔME.

après n’avoir vu en elle qu’un bon mariage possible, sans doute en me regardant m’en occuper. Son antipathie, son accès de colère, et aussi sa démarche s’expliquaient par là. Une fois son incartade commise, il en avait jugé les conséquences comme moi. Il avait voulu les empêcher, et, en même temps, probablement sur le conseil de sa mère, savoir au juste mes intentions. Quoiqu’un tel entretien me coûtât beaucoup, à moi aussi, il m’était impossible de m’y soustraire, dans les circonstances où il s’engageait. J’ajoutai donc, afin d’en avoir du moins fini plus vite : — Mais questionnez-moi, c’est bien plus simple, et vous vous rendrez compte qu’il n’y a entre nous qu’un malentendu…

— Quand vous êtes venu ici, reprit Montchal, vous vous souvenez que je vous ai parlé d’un projet de mariage que ma mère avait pour moi ?… J’hésitais beaucoup, mais ce projet n’en existait pas moins. Je vous l’avais confié. Je vous avais dit le nom de la jeune fille dont il s’agissait… Il hésita, puis, âprement : Quand vous-même, vous avez commencé à vous occuper d’elle, ne deviez-vous pas m’avertir ? Trouvez-vous cela bien, d’avoir été présenté par moi, et d’avoir travaillé contre moi, sous main, sans me prévenir ?… Si vous m’aviez dit, loyalement, amicalement, que vous pensiez, vous aussi, à la demander en mariage, j’aurais su ce que j’avais à faire, je ne vous en aurais pas voulu. Je vous en ai voulu de votre silence, et, pour être franc jusqu’au bout, je vous en veux encore…

— Et vous auriez complètement raison, lui répondis-je, si c’était vrai. Mais ce n’est pas vrai. Tout cela s’est passé dans votre imagination. Je ne peux vous dire qu’une chose : je trouve Mlle  Duvernay délicieuse, j’ai beaucoup de plaisir à la voir, à causer avec elle, mais je n’ai jamais eu, et je n’ai pas l’intention de l’épouser…

— Alors, pourquoi vous en êtes-vous fait aimer ? s’écria Montchal avec une véritable douleur.

— Moi ! m’écriai-je à mon tour, je me suis fait aimer d’elle ?…

— Ah ! vous le savez bien, reprit-il, et tout le monde à Hyères l’a remarqué comme moi. Il n’y faut pas beaucoup d’observation, d’ailleurs. Depuis que vous êtes ici, son caractère a changé ; elle n’a jamais été très gaie. Mais elle était enjouée et causeuse ; elle est devenue rêveuse et taciturne… Elle n’a jamais été familière. Elle est devenue plus réservée encore et plus ina-