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allouer, par autorité de justice, les secours auxquels il croit avoir droit. Rien de pareil n’existe dans les pays où l’assistance est obligatoire, comme l’Angleterre et l’Allemagne. Je ne pense pas qu’au nom de la solidarité, on projette en France d’ouvrir à l’assisté un droit aussi exorbitant. D’ailleurs, dans la plupart des cas, on n’imagine pas comment ce droit s’exercerait, comment, par exemple, l’enfant abandonné ou le malade atteint d’une affection aiguë exercerait ce droit, et quels moyens de procédure assureraient la terminaison rapide et en temps utile de ce singulier procès ? Il faut donc repousser l’obligation ainsi entendue, et, bien que, dans ce petit livre sur la Solidarité dont j’ai parlé, il soit vaguement question des sanctions possibles, je ne crois pas que personne songe sérieusement à introduire ces sanctions dans la loi.

Il en est autrement de l’obligation entendue en ce sens qu’il y aurait lieu de déterminer à l’avance, par voie législative, certaines catégories de misères auxquelles l’assistance serait due, de désigner les pouvoirs publics auxquels cette charge incomberait, et de mettre à leur disposition les ressources nécessaires pour faire face à cette charge. L’obligation ainsi entendue n’a rien, suivant moi, qui doive être repoussé de parti pris. Notons d’abord qu’elle existe déjà dans nos lois. Lorsque, par une inspiration plus ou moins heureuse quant au choix en lui-même, le décret du 19 janvier 1811 a transféré des hospices aux départemens la charge de pourvoir au service des enfans abandonnés, il a créé en fait une obligation d’assistance vis-à-vis de ces petits malheureux, et le service institué en exécution de ce décret, qui coûte bon an mal an, tant aux départemens et aux communes qu’à l’Etat, une somme de vingt-sept à vingt-huit millions, ne saurait être considéré comme facultatif. La loi du 3 juin 1838 met également à la charge des départemens le placement des aliénés indigens dans des établissemens publics ou privés, et, bien que cette loi ait été dictée plutôt par une préoccupation de police que par une pensée charitable, elle a créé cependant une catégorie d’indigens vis-à-vis desquels l’assistance est obligatoire. La loi du 7 août 1850 a fait de même en obligeant les hôpitaux à recueillir, sans condition de domicile, tout individu privé de secours ou tout malade dans la commune où est situé l’hôpital, puisque, dans ce cas spécial, l’hospitalisation ne peut être refusée. Ce principe de l’assistance obligatoire, dont on s’effraie,