Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/865

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très vivement de croire que, si les seconds reconquéraient jamais le pouvoir, ils n’auraient rien de plus cher que les intérêts miniers, de plus pressé que les détaxes douanières, de plus à honneur qu’un bon arrangement au sujet de certaines vieilles dettes nationales oubliées avec tant de désinvolture par ces damnés conservateurs. Hélas ! ce n’est point seulement chez Figaro qu’on rase gratis… demain !

Il est permis, en tous cas, de rapporter ici la phrase presque divinatrice, je le crains, de Chateaubriand : « Selon moi, les colonies espagnoles auraient beaucoup gagné à se former en monarchies constitutionnelles. La monarchie représentative est, à mon avis, un gouvernement fort supérieur au gouvernement républicain, parce qu’il détruit les prétentions individuelles au pouvoir exécutif et qu’il réunit l’ordre et la liberté. » Libertad y orden, voilà justement la devise inscrite au-dessus de l’écusson colombien. L’unanimité des désirs prouve combien l’on est d’accord sur le but. Malheureusement, c’est sur les moyens qu’on diffère. Puisse l’avenir, je le souhaite sincèrement, rétorquer la forte pensée du grand écrivain !


Au rebours de beaucoup de voyageurs, j’ai toujours pensé que l’intérêt offert par une nationalité réside beaucoup moins dans son aristocratie, où les manières, les conventions, l’hypocrisie mondaine émoussent l’originalité, font l’acteur humain impersonnel et quelconque, que dans son vrai peuple, prime-sautier et naturel, réserve inépuisable du génie des races. Le peuple de cette terre, je m’y mêlerai certainement beaucoup pendant le reste de mon voyage ; et, quant à la gentry, je voudrais retenir d’elle surtout l’impression que m’ont laissée ses femmes.

Ici, la jeune fille offre de bonne heure une petite personnalité très accusée. Elle est volontiers spirituelle et elle est jolie. Elle franchit plus vite l’âge ingrat, l’époque de transition où ses jeunes sœurs outre-atlantiques présentent de si longs bras, des mains si rouges, des toilettes à peine équarries platement accrochées à une anatomie déplorable. D’enfant jusqu’à douze ou treize ans, elle se réveille un beau matin maîtresse de maison, avec, du coup, l’aplomb et l’aisance nécessaires à son rôle. Elle régnera déjà aux Eight o’clock, entre les coupes de confitures et la chocolatière nationales. Sans doute, par compensation, devenue très vite épouse et mère, se regrettera-t-elle de meilleure heure. Mais on