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vraiment comme l’axe autour duquel tourne toute la société, ou comme l’âme qui la fait toute sentir et vivre toute. On ne saurait toucher au travail en un point sans provoquer à travers tout le corps social, et d’une de ses extrémités à l’autre, des séries et des séries d’incidences et de répercussions. Aussi est-il certainement légitime, — à qui veut traiter de la crise de l’État moderne sous son aspect social et de la solution de cette crise ou de la réforme de cet État, mais ne pourrait embrasser toute la société dans une synthèse aussi vaste qu’elle-même, — de procéder sur elle par une analyse, sous l’espèce choisie du travail. Mais ce n’est pas déjà une petite affaire ; en effet, pour donner ce que scientifiquement et politiquement on ose en attendre, une telle analyse devrait être à la fois impartiale et totale ; et, pour l’être, elle devrait, n’oubliant aucune distinction, ne faisant aucune confusion, ne négliger aucune de ces répercussions et de ces incidences. Après le travail à l’état normal et comme en pleine santé, — travail en soi et circonstances du travail, — elle devrait porter sur les maladies du travail, et sur l’hygiène ou la médecine, la thérapeutique du travail ; de l’apprentissage à la retraite, en passant par le chômage, par les grèves, par les accidens, en notant ce que gagne l’ouvrier, ce qu’il dépense et ce qu’il épargne, comment il est nourri, comment il est logé, quand il commence et où il finit, de quoi il existe et de quoi il meurt, elle devrait parcourir le cycle tout entier ; et, alors, de tous côtés apparaîtraient les innombrables implications et imbrications de ce fait, de ce phénomène, à première vue assez simple, du travail, dans le réseau, dans le lacis des faits ou phénomènes sociaux.

Alors, en se nouant, se tendant, s’épaississant et se serrant sans cesse, s’entre-croisent la chaîne et la trame du tissu social, tant et si bien que, partis de l’acte un et élémentaire qu’accomplit machinalement l’ouvrier qui lève son marteau ou qui pousse sa navette, nous nous retrouverons très loin, à l’autre bout de la société, ayant vu se dérouler tout entier devant nous le phénomène du travail, avec les mille phénomènes secondaires ou réflexes qu’il contient ou qu’il commande, les mille vies qui se mêlent à la plus humble des vies, et cela, sans avoir quitté le même ouvrier, sans être sortis de la même profession. Mais alors, cette analyse du travail, qui, pour être vraiment scientifique, devrait être non seulement impartiale, mais totale, — c’est-à dire n’omettre rien ni personne, et tout exprimer de toutes