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CCLXXIV
Si poingnant est l’esperon de tes grâces
Qu’il mesguillonne ardemment où il veult,
Suyvant toujours tes vertueuses traces,
Tant que sa poincte inciter en moy peult
Le hault désir qui nuit et jour m’émeult
A labourer au joug de loyaulté,
Et tant dur est le mors de ta beaulté
(Combien encor que tes vertus l’excellent)
Que sans en rien craindre ta cruaulté,
Je cours soubdain, ou mes tourmens m’appellent.

On aimera moins celui-ci :


CCCVI
Ta beaulté fut premier et doulx Tyrant
Qui m’arresta très violenlement ;
Ta grâce après, peu a peu m’attirant,
M’endormit tout en son enchantement :
Dont assoupy d’un tel contentement
N’avois de toy, ni de moy congnoissance.
Mais ta vertu, par sa haulte puissance,
M’éveilla lors du sommeil paresseux
Auquel Amour par aveugle ignorance,
M’espouvantoit de maint songe angoisseux.


Mais quelque raideur que l’on y sente encore, et tout obscurs ou tout embarrassés qu’on les trouve, ce sont là de vrais vers de poète ; et ce sont surtout d’autres vers que ceux de Marot. Sont-ils d’ailleurs imités de quelque modèle italien ? C’est possible. On imite beaucoup alors, souvent sans choix et toujours sans scrupule. Mais ce qui n’est pas en tout cas imité, c’est l’accent : et sans doute c’est ce que l’oreille des poètes de la Pléiade en a d’abord apprécié.

Ils en ont dû apprécier également la composition mathématique ou symétrique ; et, en effet, il faut le noter, c’était la première fois, en français, que l’on consacrait au développement d’un seul thème tout un long poème, lequel, s’il s’était inspiré du Canzoniere de Pétrarque, en différait toutefois par ce point capital qu’il ne s’était pas formé successivement, au cours du temps et de la vie, mais d’un seul coup, comme une œuvre d’art, et qu’ainsi la seule apparence en manifestait l’intention esthétique.

Ils y trouvaient autre chose encore, et c’était cette manière de