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Je ne souhaitte encore point mourir,
Mais quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante.
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante,
Priray la mort noircir mon plus cler jour.


Je ne connais guère de plus touchante ni de plus belle modulation que ce passage des deux premiers quatrains au premier tercet. Louise était musicienne : ils étaient tous musiciens dans l’école. Mais ce fut cette fois la mort qui ne répondit pas à l’appel, et quand il s’éloigna pour ne plus revenir, la « Belle Cordière » était jeune encore[1]. Le temps, en apaisant les regrets, amena-t-il le repentir ? Mais jusque dans le repentir elle garda l’orgueil de son amour, et le roman se termina par ce hardi défi ;


XXIV
Ne reprenez, Dames, si j’ay aimé !
Si j’ay senti mile torches ardentes,
Mile travaux, mile douleurs mordantes,
Si en pleurant j’ay mon tems consumé,
Las ! que mon nom n’en soit par vous blâmé.
Si j’ai failli, les peines sont présentes,
N’aigrissez point leurs pointes violentes ;
Mais estimez qu’Amour, à point nommé,
Sans votre ardeur d’un Vulcan excuser,
Sans la beauté d’Adonis acuser,
Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses
En ayant moins que moi d’occasion,
Et plus d’estrange et forte passion,
— Et gardez-vous d’estre plus malheureuses !


Comment s’appelait cet ami tant aimé ? et quelle fut Louise Labé ? C’est ce qu’il est sans doute inutile de rechercher plus indiscrètement. Calvin, qui ne la connaissait point, — mais auquel il suffisait qu’elle ne fût point calviniste, — l’a traitée quelque part, avec sa tolérance coutumière, de « courtisane de bas étage », plebeia meretrix ; et les biographes de Louise Labé,

  1. On ne connaît pas avec exactitude la date de sa naissance, et on s’est accordé longtemps à la placer en 1524 ou 1525. Des recherches plus récentes ont établi qu’on pouvait la reculer presque d’une dizaine d’années, jusqu’aux environs de 1515 ou 1520. Cf. Charles Roy. Œuvres de Louise Labé ; Paris, 2 vol. in-18, 1887. A. Lemerre.