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préparation, eût été maladroit. Les missionnaires travaillèrent à faire sentir la supériorité de la civilisation européenne, ils furent savans, ils enseignèrent la géographie, l’histoire naturelle, la physique, les mathématiques ; ils furent cartographes et dressèrent la première carte détaillée de l’Empire ; astronomes et ingénieurs, ils calculèrent les éclipses, corrigèrent le calendrier ; ils construisirent des canons, des lunettes, des horloges, des machines élévatoires ; ils furent peintres, musiciens, architectes, médecins ; ils furent diplomates, et personne ne contribua plus qu’eux à la signature du traité sino-russe de Nertchinsk (1689). Ils établirent de toutes façons la supériorité intellectuelle des hommes d’Occident ; leurs entretiens étaient recherchés par les lettrés, par les dignitaires, par les empereurs : on sait quelle fut leur situation à Péking sous les derniers des Ming, à partir de 1600, et comment ils tinrent ensuite une grande place à la cour de la dynastie mandchoue. Au milieu des recherches scientifiques et du tracas des affaires, ils n’oubliaient jamais l’œuvre de l’évangélisation, prêchant les humbles dans un langage simple et, avec les autres, profitant des conversations scientifiques ou morales pour insinuer la vérité chrétienne, la développer, la faire éclater aux yeux. La civilisation de l’Europe, en effet, est assez imbue de christianisme pour que, aux yeux des penseurs d’Extrême-Orient, l’esprit chrétien se décèle même dans celles de nos idées que nous lui croirions étrangères ou opposées : le Chinois qui avait fréquenté les docteurs européens, qui s’était habitué à leurs vues scientifiques, littéraires, morales, était familiarisé et à demi conquis.

Il y eut des conversions dans toutes les provinces, et le nombre en fut considérable : en 1663, plus de 110 000 chrétiens étaient répartis dans douze des provinces actuelles ; je n’ai pas de chiffres pour les six autres. La nouvelle religion avait trouvé des adeptes parmi les plus hauts fonctionnaires, tel le grand secrétaire Siu-Koang-Khi, et jusque dans la famille impériale. Plusieurs convertis donnèrent d’admirables exemples de vertu et de charité ; d’autres proclamèrent leur foi, dans les prisons, dans l’exil, dans les supplices. Car la politique impériale n’avait pas plus d’unité envers les missionnaires qu’envers les autres étrangers : le même souverain qui les protégeait un jour les bannissait bientôt après, (1665), puis, les rappelant (1671), finissait par leur accorder la liberté du culte (1692). Il arriva parfois que les uns devaient