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sur lequel le poêle l’onde les privilèges qu’il réclame, est en même e temps le signe auquel on le reconnaît poète.


Ce procès tant mené et qui encore dure,
Lequel des deux vaut mieux, ou l’art ou la nature,
En matière de vers à la Cour est vidé…


La Cour préfère la nature. Mais précisément, pour les poètes de la Pléiade, il n’y a pas de plus grande erreur. « Qu’on ne leur allègue point que les poêles naissent ! » Cela ne s’entend que d’une certaine ardeur et « allégresse d’esprit, » qu’en effet on apporte en naissant, comme on apporte son tempérament ou la couleur de ses cheveux. Mais si celle autre ardeur ne s’y ajoute, qui ne consiste pas moins dans l’ambition d’exceller que dans l’avidité de savoir, il n’y a point de poète. Et dira-t-on peut-être, à ce propos, qu’il semble que la doctrine se contredise ici ? Puisque les Dieux les ont sucrés poètes, quel besoin les poètes ont-ils de tant de travail et d’application ? Mais plutôt la doctrine se complète, elle s’achève, elle se précise, en faisant de l’avidité de savoir et de l’ambition d’exceller, — lo gran disio d’eccellenza, — le caractère même, et comme qui dirait la preuve de l’élection ou du décret divin. N’est-ce pas à peu près ainsi que, dans un autre ordre d’idées, la « grâce » n’est donnée qu’à quelques-uns ? et le nombre des élus est petit, mais on les reconnaît à ce signe que, tout ce que l’on peut humainement faire pour mériter ce don de Dieu, ils le font ; et c’est cela même que la pauvreté du langage des hommes appelle du nom de « Grâce. »


II

Comment cependant réaliser cette idée du poète et de l’objet ou de la « mission » de la poésie ? par quels moyens ? Et dans quel sens dirigerons-nous l’effort de nos « longues vigiles ? » Il faut nous souvenir ici qu’avec toutes ses qualités, mais aussi tous ses défauts ou tous ses manques, la Défense est l’œuvre d’un jeune boni me de vingt-cinq ans, — ou de deux jeunes gens qui n’ont guère à eux deux plus de la cinquantaine ; — et à vingt-cinq ans on peut bien être le poète exquis nu le très grand poète que sont effectivement Du Bellay et Ronsard, mais on ne serait ni l’un ni l’autre si l’on savait comment on l’est, et bien moins encore si