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On serait assez embarrassé de distinguer une rime « propre » d’avec une rime « aliène, » et une rime « reçue » d’avec une rime « appelée. » Mais s’est-il surtout bien rendu compte à quel point, dans notre langue, la rime était génératrice du vers ? On prouverait aisément que les idées et les sentimens mêmes s’engendrent souvent, dans notre poésie, de l’appel mystérieux et lointain de la rime. La rime, en français, n’est pas sonorité seulement, mais aussi résonance ; et Ronsard ou Du Bellay, qui l’ont bien su, comme poètes, ne semblent pas, comme critiques, s’en être doutés.


Tu seras plus soigneux de la belle invention et des mots que de la rime, laquelle vient assez et aisément d’elle-même, après quelque peu d’exercice et de labeur. (Abrégé de l’Art Poétique : de la Ryme.)


Ainsi s’exprimera Ronsard, et on pourrait dire familièrement qu’il en parle à son aise. Oui, « la rime vient assez aisément d’elle-même » quand on est Ronsard ou Du Bellay ! Mais quand on ne l’est pas ? Quand on ne l’est pas, il y a lieu d’être surpris de les entendre dire : « Je ne veux que notre poète regarde si superstitieusement à ces petites choses, et lui doit suffire que les deux dernières syllabes soient unisones. » Cette indifférence un peu dédaigneuse ne s’accorde guère avec leur ambition d’art ; et on aimerait que, tout en proscrivant sans pitié les jeux inutiles de rimes, ils eussent toutefois mieux reconnu, défini, et montré toute l’importance de la rime, le moyen d’art qu’elle est, et les effets que l’on en peut tirer.

Mais où leurs idées, et surtout leurs expressions, achèvent de se brouiller, c’est au chapitre de l’Imitation des anciens auteurs Grecs et Romains, et notamment quand il s’agit d’en concilier les leçons avec leur désir passionné « d’amplifier la langue française. » Car c’était bien en français qu’ils voulaient réaliser leur idée du poète ou de la poésie, et, à cet égard, le titre même de Défense et Illustration de la Langue française exprimait bien le fond de leur pensée. L’auteur du Quintil Horatian le leur reprochait en ces termes :


Ce titre, — disait-il, — est de belle parade, magnifique promesse et très grande attente, mais, à le bien considérer, il est faux… Car, comme un Lacon — un Lacédémonien, — à un rhéteur lui présentant une oraison des louanges d’Hercule, en les refusant répondit : « Qui est-ce, dit-il, qui le blâme ? » ainsi pouvons-nous dire ; Qui accuse, ou qui a accusé la langue française ? (Ed. person, 207.)