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comme une chanson de pédant. Et il est bien vrai qu’elle est souvent cela dans Horace, mais, dès le temps de la Pléiade, il semble qu’elle pût être quelque chose d’autre ou de plus ; de moins « artificiel, » de plus libre, de plus intérieur au poète ; et c’est encore ce que ne semblent pas avoir très bien vu les auteurs de la Défense et Illustration.

Ont-ils mieux défini le long poème françois, par des traits plus caractéristiques et plus essentiels ? Ce que du moins il convient d’observer sur ce point, c’est qu’ils l’ont conçu, très savant, comme l’Ode, mais plus libre cependant que l’Ode, et plutôt sur le modèle du Roland furieux que de l’Enéide ou de l’Iliade.


Comme un Arioste, italien, — dit la Défense à ce propos, — qui a bien voulu emprunter de notre langue les noms et l’histoire de son poëme, choisy-moi quelqu’un de ces beaux vieux romans françois, comme un Lancelot, un Tristan, ou autres, et en fay renaître une admirable Iliade et laborieuse Enéide. (Illustration, Livre II, ch. V.)


Une « admirable Iliade » et « une laborieuse Enéide : » voilà qui est bien vu et finement senti ! Il ne craindrait d’ailleurs pas, « n’était la sainteté des vieux poèmes, » de comparer « un Arioste… à un Homère et à un Virgile ; » et c’est encore justement rendre hommage à l’Italie. Le rôle de l’influence italienne a été pour le moins aussi considérable, dans la formation de la poétique de la Pléiade, que celui de l’influence antique. Et si Ronsard a, dans sa Franciade, pour des raisons que l’on verra, préféré le sujet des « origines françaises » à celui des Amadis ou de la Table Ronde, et s’il y a fait, selon son habitude, à l’antiquité de larges emprunts, le thème en est cependant bien « moderne. » Un autre grand Italien, quelques années plus tard, Torquato Tasso, dans sa Jérusalem, exécutera son poème, si je puis ainsi dire, dans les données générales de la Défense, et d’une heureuse combinaison de l’histoire avec les « vieux romans français » fera sortir un chef-d’œuvre. Mais ici encore, malheureusement, Ronsard et Du Bellay ont manqué de précision. Ils en ont manqué à ce point, sur cet article du « long poème françois, » que c’est même un des rares chapitres de la Défense où l’aigre censeur du Quintil Horatian n’ait trouvé ni une idée ni un mot à reprendre. Et nous, pour achever de caractériser la poétique de la Pléiade, c’est ce qui nous amène à demander ce que Ronsard et ses amis, dans ces belles formes, dont ils ont si