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indispensable que, plus tard, s’ils sortent de la gêne, ils achèteront de nouveau au prix fort.

Peu importe alors que le mont-de-piété parisien ne demande à tous qu’un intérêt faible, que le renouvellement des prêts y soit aisé ! Lorsqu’il n’a plus rien à engager, le pauvre engage ses reconnaissances ; il en possède, en général, une dizaine. Ses titres le quittent ainsi un par un : pendant plusieurs mois il se soumet aux conditions léonines qu’il a souscrites, puis il se lasse. Il est alors déchu de son droit, le préteur devient propriétaire à sa place. Lors même qu’il se libère du principal et des frais, il n’en a pas moins payé un intérêt effroyable.

Les commissaires-priseurs, aujourd’hui personnellement responsables, sont amenés, par la crainte d’éprouver des pertes, à évaluer les gages fort bas. Il est facile de le constater par le prix qu’atteignent ces objets, lorsqu’ils sont livrés aux enchères publiques : les matelas et lits de plume ont été vendus, en 1899, avec un « boni » de 70 pour 100, représentant l’excédent de leur valeur marchande sur le prêt consenti. À ce mal, le directeur du mont-de-piété, M. Edmond Duval, philanthrope et homme de progrès, a proposé un remède fort simple : faire prêter par rétablissement, non plus le tiers ou la moitié, mais les neuf dixièmes de la valeur des objets présentés en nantissement. Ces reconnaissances seraient déclarées inaliénables, et nul n’aurait d’ailleurs avantage à s’en emparer. Le projet très approfondi, approuvé par le Conseil de surveillance du mont-de-piété, puis par le Conseil supérieur de l’Assistance publique et par le Conseil municipal de Paris, fut soumis à la Chambre en 1893.

Quel accueil croit-on qu’une assemblée démocratique, préoccupée, dit-elle, de mettre le crédit à la portée des petites gens, ait fait à une proposition du gouvernement qui, remplaçant les courtages des commissaires-priseurs par un traitement fixe, permettait de ruiner, dans sa base même, l’industrie malfaisante des brocanteurs ? Elle l’a écartée, presque sans débats, grâce à la formule commode d’un « renvoi à la commission. » Il n’y a pas lieu de rechercher ici les mobiles qui ont poussé à la tribune les adversaires de cette réforme, que des intérêts privés, embusqués sur son chemin comme sur celui de toutes les réformes, cherchent à arrêter.

Heureusement le palais législatif a ceci de commun avec celui de la Belle au Bois dormant, que les questions y peuvent