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insolvable à Londres, malgré les millions hérités par lui de son père. À ces médailles de chance, dont la foule ne voit que la face, il ne manque pas de tristes revers ! C’est alors que la veuve de M. Crespin, une lingère, fille du peuple comme lui, s’associa M. Dufayel : elle lui confia peu à peu la-direction de l’établissement et finit par le lui vendre, avec la faculté de s’acquitter, lui aussi, par abonnement.

Quoique cette spéculation ait largement réussi, ainsi qu’en témoigne le chiffre cité plus haut ; quoique ses effets semblent pleinement louables, puisqu’elle met le crédit à la portée des pi us humbles et développe les habitudes d’économie, en aidant le prolétaire à acquérir des objets durables, — les consommations de bouche sont exclues de la liste, — sans nuire à ses besoins journaliers, l’industrie des ventes « par abonnement » est en général jugée avec peu de faveur. La médiocre estime dont elle jouit dans l’opinion n’est pas sans causes : les inventeurs de cette combinaison n’étaient rien moins que des âmes charitables, poussées par le désir de rendre service à leur prochain. Ils n’éprouvaient d’autre ambition que celle de s’enrichir ; ce qui, au demeurant, n’avait rien de criminel. Mais, dénués de capital, sujets à des pertes nombreuses et grevés de frais énormes, pour faire suer goutte à goutte à ces innombrables débiteurs, qui presque tous vivent de leur travail, le montant des sommes avancées, les lanceurs de bons exigeaient une remise démesurée des marchands, auxquels ils envoyaient de la clientèle. Ces marchands à leur tour, afin de s’indemniser des commissions de 40 et 50 pour 100 qu’ils avaient consenties, se rattrapaient sur le public »MI livrant de pure « camelote » ou en majorant effrontément hors prix.

Aussi l’établissement Crespin-Dufayel n’eut-il jamais pris son essor actuel, s’il n’avait rencontré un jeune couple, — les époux Cognacq, — qui venaient de fonder en 1872, à l’enseigne de la Samaritaine, une maison de nouveautés dont j’ai naguère conté l’histoire. M. Cognacq accueillit les « bons, » parce qu’en augmentant le total de ses ventes, ils lui permettaient de s’approvisionner, en gros, à meilleur marché ; ce dont il tirait un bénéfice positif pour les marchandises débitées contre espèces. Espèces ou papier furent au reste traités chez lui sur un pied d’égalité parfaite. Satisfaits de la Samaritaine, les abonnés de Crespin lui valurent une vogue rapide et, par là même, multiplièrent