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des signatures rares et de second choix ; il doit s’armer de prudence vis-à-vis de la clientèle purement ouvrière, celle qui emprunte pour consommer, non pour produire, et ne présente pas de garantie. A celle-là on prête sur l’honneur ; mais cette avance, qui ne peut se transformer en effet commercial, susceptible de circulation, immobilise les fonds jusqu’à un remboursement toujours problématique. Les institutions mutuelles, qui ont essayé le « prêt d’honneur » à l’étranger, ont éprouvé une perte d’environ 33 pour 100 de la portion de leur avoir qu’elles y avaient consacrée. Ce déficit, rapproché des pertes minimes qu’accuse, pour des opérations presque analogues, l’établissement Crespin-Dufayel, ne laisse pas de surprendre. Il semble que les coopératives de crédit pourraient remplir, avec plus de succès, cette partie si ardue mais si utile de leur dessein, soit en organisant le système des recouvremeus partiels, soit en exigeant de cette catégorie d’emprunteurs la solidarité de quelques parrains.

C’est à quoi s’appliquent déjà les Caisses rurales et ouvrières. N’ayant pour associés que des salariés, ces caisses ne peuvent, en aucun cas, arriver à un gros chiffre d’affaires ; mais les services qu’elles rendent sont bien plus considérables que ne pourrait le faire croire, à première vue, la modestie de leur mouvement de fonds. Il faut avoir vécu dans les milieux manufacturiers, dans l’intimité des humbles logis, pour comprendre l’importance pratique d’une avance de 50 francs, qui permet, au moment opportun, un achat de provisions à bon marché, facilite une location avantageuse par le paiement anticipé du terme, aide à trouver l’emploi où un cautionnement est nécessaire, donne de quoi acquérir les outils et fournitures d’un travail exécuté à façon.

Dans une ville un peu importante, il est impossible d’établir solidement une caisse qui s’étende sur toute la population ouvrière ; il faut chercher un milieu plus restreint, qui ait établi des relations plus fréquentes entre les futurs associés. Tantôt la caisse se limite à un seul quartier, tantôt c’est la paroisse qui sert de base ; tantôt la caisse agrège les ouvriers de la même usine, ou les membres de la même profession qu’unit un syndicat, un cercle, une société de secours mutuels.

La caisse rurale, ayant dans sa sphère naturelle des cliens plus faciles à surveiller, s’est développée beaucoup plus aisément que la citadine. A la campagne le village forme une grande famille ; non pas toujours une famille très unie ; il y a des