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fois, quoique, dans la classe pauvre, les habitans soient si économes de cet article de prix, que, lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il mange du sel à ses repas, on veut désigner par là un homme riche… J’ai ressenti vivement la rareté de ce produit de la nature. Une alimentation végétale éveille une envie de sel si ardente qu’on ne peut ta décrire. » C’est là un aveu précieux. On peut le rapprocher d’une observation inverse qui le complète et lui sert de contrôle. Celle-ci est encore rapportée par Bunge. Il s’agit de l’astronome L. Schwarz qui, ayant vécu pendant trois mois chez les Tungouses de la Sibérie, au régime exclusif de la viande de renne et du gibier, avait perdu le besoin et l’habitude d’ajouter du sel à ses alimens.


L’Amérique donne lieu aux mêmes observations. Au temps de la découverte, la plupart des tribus indiennes de l’Amérique du Nord vivaient de chasse et de pêche : elles n’usaient point du sel, cependant très commun dans leurs prairies. Un petit nombre seulement étaient alors sédentaires et agricoles : celles-là recherchaient le sel et étaient en guerres fréquentes pour la possession des sources salées. Plus bas, au Mexique, un peuple sédentaire, adonné à la culture, employait régulièrement le sel ; tandis que dans les pampas, couvertes de lacs salés et d’efflorescences, les gauchos méprisent la nourriture végétale et le sel qui l’assaisonne comme une pâture tout au plus bonne pour leurs troupeaux.

L’examen de ce qui se passe chez les peuples de l’Archipel indien et de l’Australie apporte un nouvel appui à la loi de Bunge. Partout ce sont les populations vouées à l’agriculture qui consomment le sel, et partout aussi les peuples adonnés à la chasse, à la pêche ou à la vie pastorale qui en dédaignent ou en repoussent l’usage. Des explorateurs européens soumis au régime animal, comme Schwarz, se déshabituent du sel ; tandis que d’autres, comme Mungo Park, réduits aux seuls alimens végétaux, éprouvent pour cette substance une faim ardente au point de devenir douloureuse.


II

La relation est donc bien établie entre l’alimentation végétale et le besoin du sel, et, réciproquement, entre le régime