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la sonorité des cours d’assises. On a fait tout ce qu’on pouvait faire : on devait faire tout ce qu’on pouvait.

Mais comment qualifier l’abus par lequel la Chambre a fait servir l’amnistie à toutes sortes de fins particulières, qui n’avaient aucun rapport, ni avec l’affaire Dreyfus, ni même avec la politique ? Il y a eu deux projets d’amnistie qui ont été d’abord séparés, puis confondus de manière à produire l’amalgame législatif le plus bizarre et le plus difforme qu’on ait encore vu. Après les élections générales de 1898, le gouvernement de cette époque avait déposé un premier projet pour tous les délits de presse, de réunion, etc., commis pendant la période électorale. La Chambre élue la veille avait des indulgences toutes prêtes pour les délits électoraux : elle s’était empressée de voter la loi sans y regarder de très près. Le Sénat, au contraire, après y avoir jeté un premier coup d’œil, l’avait laissé reposer dans cette pénombre des commissions, où tant d’autres projets également mal venus dorment du dernier sommeil. Très probablement ce sommeil n’aurait jamais été troublé, si le ministère actuel n’avait pas déposé un second projet d’amnistie sur l’affaire Dreyfus. La même commission sénatoriale, saisie de l’un et de l’autre, a commencé par ne pas montrer plus de faveur à celui-ci qu’à celui-là. Mais le gouvernement a insisté, et les commissions sénatoriales, aussi bien que le Sénat lui-même, ne résistent guère aujourd’hui à l’insistance du gouvernement. Celui-ci ne s’est d’ailleurs pas opposé à ce qu’on séparât les deux projets, sentant bien qu’il serait plus facile de faire accepter en deux fois par la haute assemblée une potion aussi amère : au surplus, il ne tenait pas autrement au projet de 1898. Le Sénat a donc voté l’amnistie Dreyfus, avec la satisfaction de penser que l’autre retomberait dans les limbes muets où elle avait dormi pendant plus de deux ans. Mais, à la Chambre, la situation s’est trouvée changée. Les députés, qui l’avaient un peu oubliée, ont demandé ce qu’était devenue l’amnistie de leurs électeurs, et le gouvernement n’a pas tardé à comprendre que l’un des deux projets serait la rançon de l’autre, que celui-ci aiderait celui-là à passer. En conséquence, il s’est retourné vers le Sénat, et il lui a demandé de fermer les yeux, d’ouvrir la bouche, et d’avaler héroïquement la seconde partie de la potion. Ainsi fut fait. La Chambre s’est alors trouvée en possession de deux projets à la fois. Si encore elle les avait votés tels quels ! Mais non. Tous les députés qui avaient des électeurs en souffrance, après des frollemens plus ou moins durs avec le Code pénal, n’ont eu d’autre préoccupation que de les comprendre dans l’amnistie : et celle-ci a bientôt charrié un