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lieu de faire une proposition, il a toujours l’air de faire un ultimatum. Et c’est bien un ultimatum que le Sénat américain a entendu adresser à l’Angleterre, en passant par-dessus la tête de son propre gouvernement. Au surplus, cette tête s’est aussitôt inclinée si bas que tout pouvait passer par-dessus. Si lord Salisbury a le loisir de relire son discours au banquet du lord-maire, peut-être trouvera-t-il aujourd’hui un peu excessif le dithyrambe par lequel il a célébré la victoire de M. Mac-Kinley. Celui-ci, se regardant comme le simple, agent du Congrès, a mis, dit-on, sous enveloppe le texte amendé par lui, et l’a envoyé purement et simplement à Londres. Le directeur des postes aurait suffi pour cet office.

Que fera lord Salisbury de ce traité qui n’en est plus un ? Traitera-t-il l’Amérique comme un enfant terrible, auquel on passe tous ses caprices ? Reculera-t-il devant le danger de laisser s’établir un pareil précédent ? Admettra-t-il les procédés nouveaux que le gouvernement américain tend à introduire dans le droit international, ou protestera-t-il contre eux ? Nous l’ignorons. Peut-être ne fera-t-il rien du tout, et se contentera-t-il de mettre le texte du Sénat américain dans un carton auquel il ne touchera plus. Il se dira que, puisque le nouveau traité n’a pas été ratifié, l’ancien subsiste ; et l’Amérique pensera, avec plus de raison encore, que l’acte qu’elle a accompli peut passer, à tout le moins, pour une dénonciation catégorique de l’ancien traité, de sorte qu’il n’en existe plus aucun et qu’elle a reconquis toute sa liberté d’action. Chacun aura l’air d’être satisfait, ce qui sera fort bien, si on ne construit pas le canal, mais pourra tourner assez mal, si on le construit. Le temps cicatrisera la blessure ou l’envenimera, suivant l’occurrence. En ce moment, l’Angleterre a des préoccupations plus pressantes : elle regarde du côté du Cap. Et, pour elle aussi, le siècle, qui a été d’ailleurs rempli de ses prodigieux progrès, ne finit pas comme elle l’avait rêvé.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, F. BRUNETIERE.