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rement, continûment. Il n’avait pu supporter la pensée que Malclerc regardât de nouveau le petit panneau de l’Angelico, remis à sa place sur le mur, et se souvînt d’Antoinette devant la Sainte au cœur brûlant. Il avait besoin de tout son sang-froid pour ce grave entretien, et, en fait, sa voix ne trahissait aucune de ses profondes émotions quand cet héroïque servant d’une mémoire adorée demanda :

— Comment avez-vous quitté Éveline ? J’espère qu’elle ne sait pas que je vous ai écrit ?…

— Absolument pas, répondit Malclerc. Je ne l’ai pas vue ce matin. Mais la journée d’hier a été calme. Elle est rentrée de chez vous plus tranquille, quoique avec un regard qui indique trop qu’elle cherche toujours. Et moi aussi, j’ai été plus tranquille. Vous ne saurez jamais le bien que vous m’avez fait, rien qu’en acceptant de recevoir ma confidence… Je vous répète ce que je vous ai dit : j’étouffais… Et puis, je vous connais si bien, monsieur d’Andiguier. Quand nous causions de vous autrefois, elle me disait toujours : « C’est le plus noble cœur que j’aie rencontré… » Je savais que vous me comprendriez, que vous me plaindriez. J’en ai tant besoin… Quand vous m’avez tendu la main, tout à l’heure, j’ai senti qu’elle était entre nous, elle dont vous avez été le meilleur ami, et moi !… Mais qu’avez-vous, monsieur d’Andiguier, qu’avez-vous ?…

Le vieillard avait pâli affreusement, tandis que son interlocuteur prononçait ces dernières paroles. Ce rappel d’Antoinette, accompagné d’un regard chargé de tant de souvenirs, cette syllabe d’amour, cet : « elle, » murmuré d’une voix émue, cette allusion, d’une atroce ironie pour lui, à l’estime où l’avait tenu cette femme passionnément éprise d’un autre, — l’épreuve avait été trop forte. La plaie intime, ouverte depuis la veille, touchée ainsi, — et par quelles mains ! — avait saigné à le faire crier. Mais déjà il avait maîtrisé cette faiblesse et repris :

— Je n’ai rien. Un peu de fatigue, voilà tout, à cause de la secousse d’hier. Elle a été rude, je vous assure, quand Éveline m’a parlé comme elle m’a parlé. Mais je suis mieux… D’ailleurs, son visage était redevenu ferme et sa voix claire pour dire cette phrase : — Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, c’est de vous. C’est d’Éveline surtout… Vous m’avez demandé hier, reprit-il après un silence, d’être un appui pour vous à cause de cette pauvre enfant. Ce sont les mots dont vous vous êtes servi. Je ne con-