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« C’est cette pacification que Léon XIII voudrait établir partout et, depuis que j’ai l’honneur de l’approcher, je n’ai pas surpris un moment de défaillance dans cet espoir. On a beaucoup abusé en tout temps du mot de philanthropie ; mais il est certain que Léon XIII est un philanthrope, dans l’expression la plus haute et la plus évangélique du mol. Il aime l’humanité, et non seulement eu elle la partie dont les doctrines se rapprochent des siennes, mais celle même qui s’en éloigne. Il donnera la main à tous ceux qui ne la repousseront pas absolument ; il combattra sans doute, s’il le faut, mais il plaindra surtout l’erreur, et l’anathème est une parole qui ne sortira qu’avec peine de sa bouche de pontife. Il fait respecter la parole de Dieu quand il écrit, il l’a fait aimer quand on l’entend. Avec ces dispositions, il n’est pas surprenant, si son pontifical dure quelques années, qu’un jour ou l’autre, le monde ne vienne à lui, comme nous le voyons déjà en Allemagne, en Italie, et ailleurs. »

Au moment même où j’écrivais ces lignes, la fin du schisme arméno-catholique et l’arrivée de Mgr Kupélian à Rome, où il venait faire sa soumission entre les mains du Saint-Père, lui causèrent une satisfaction d’autant plus grande que le succès en était dû aux efforts de notre ambassadeur à Constantinople. On sait que les Arméniens catholiques, qui reconnaissaient pour chef Mgr Hassoum et formaient les deux tiers de la communauté, étaient eu graves dissentimens avec l’autre tiers de leurs coreligionnaires, qui se laissaient diriger par Mgr Kupélian. Ces dissentimens ne restèrent pas seulement sur le terrain moral ni la lutte religieuse ; ils devinrent promptement une question politique, et le grand vizir Hussein-Pacha, sous des influences hostiles à la France, ainsi que me le confirma Mgr Kupélian lui-même dans la visite qu’il me fit, avait, en 1874, donné l’ordre d’enfoncer les églises des Hassonnistes et leur avait infligé mille outrages. L’influence de notre ambassade à Constantinople avait fini par faire entendre raison au cabinet ottoman, et les exhortations, venues de Rome, avaient décidé Mgr Kupélian à renoncer au schisme. M. Fournier s’entremit très heureusement dans toute cette affaire et, sur ma demande, notre ambassadeur reçut du Saint-Père le grand cordon de Pie IX, dont il se montra profondément reconnaissant. Le Saint-Siège accueillit à bras ouverts Mgr Kupélian, qui me parut fort heureux de rentrer dans le sein de l’Eglise catholique.