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suivant lui, s’effacer devant la peinture. « Quel poète, dit-il, est capable, avec des paroles, de mettre en présence d’un amant la fidèle image de son idéal avec autant de vérité que le peintre pourra le faire ! »

Plus universel qu’aucun de ses contemporains par sa curiosité comme par son savoir, Léonard, à raison de l’excellence qu’il attribuait à la peinture, peut être considéré comme le représentant le plus complet de la Renaissance italienne dans ce qu’elle a de vraiment caractéristique. La peinture a été, en effet, la création la plus originale de cette brillante période d’expansion de l’art, et les chefs-d’œuvre qu’elle a produits en ce genre lui appartiennent mieux encore que ceux de la sculpture. Sans doute, les maîtres florentins ont pu ajouter à la statuaire cette expression du sentiment religieux qui, dérivée du christianisme, donne à leurs ouvrages les plus remarquables un charme de tendresse et d’intimité poétiques inconnu des anciens. Mais comme beauté exquise de la forme et largeur de l’exécution, ils n’ont pas dépassé les modèles que leur avaient légués les sculpteurs grecs de la grande époque. La peinture, au contraire, est un art relativement récent et par ce que les écrivains ou les monumens qui nous ont été conservés nous apprennent de ses productions dans l’antiquité, il est permis d’affirmer qu’elle n’a jamais alors tenu la place, ni acquis la perfection qu’elle devait atteindre dans les temps modernes. Aussi l’éducation des peintres de la Renaissance fut-elle lente et laborieuse, et quand on songe à l’enthousiasme que provoquait à son apparition la Vierge de Cimabuë, solennellement promenée dans les rues de Florence aux acclamations d’un peuple entier, on peut se faire une idée de tous les progrès, de toutes les découvertes qu’ils avaient à réaliser, en dépit du génie de Giotto, d’Angelico du Fiesole et même de Masaccio, l’inexpérience de leur technique devait conserver à leurs œuvres un air de timidité naïve qui, si charmantes qu’elle nous les fasse paraître aujourd’hui, ne pouvait, sous peine de condamner la peinture à une enfance indéfinie, durer bien longtemps. C’est à assurer cette marche jusque-là hésitante que s’étaient appliqués les prédécesseurs immédiats de Léonard, en faisant profiter leur art des notions positives d’anatomie et de perspective qu’ils avaient successivement acquises, ainsi que de leurs heureuses recherches en vue d’obtenir des proportions plus exactes, des compositions mieux définies et un choix plus sévère dans les