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formes. Enfin l’emploi de l’huile substitué aux procédés primitifs était venu ajouter à la peinture les précieuses ressources d’éclat et de fini qui lui manquaient encore.

À ses dons extraordinaires, à son infatigable activité, à son amour constant de la nature et de son art, le Vinci joignait un esprit merveilleusement doué pour la science. Après s’être, dès sa jeunesse, assimilé toutes les conquêtes de ses devanciers, il était bientôt appelé à les étendre, et sans jamais faire montre de son prodigieux savoir, il le mettait au service d’un art désormais émancipé et vraiment expressif. Mais si grand que soit le génie du peintre, il convient de dire que les qualités du dessinateur l’emportent de beaucoup chez lui sur celles du coloriste. Ses tonalités sont plus sobres que brillantes, et l’harmonie de ses tableaux résulte plutôt de l’effacement et de la rareté des colorations que de leur diversité ou de leur puissance. Sans même parler des Vénitiens, il a eu, sous ce rapport, des émules et des égaux parmi ses contemporains. Par son dessin, au contraire, il est tout à fait personnel et supérieur, et dans le dessin nous entendons ici comprendre toutes les parties de l’art qui chez lui en dérivent et où il a été vraiment créateur : c’est-à-dire avec la correction, le caractère et la beauté des formes, la science de la composition, celle de l’effet, celle du modelé et des valeurs. C’est là son domaine ; c’est lui qui l’a définitivement constitué et il en est resté le maître. C’est là aussi que les dons qu’il a reçus ont été le plus manifestes, fécondés, comme ils le furent, par une étude intelligente et un travail continu. Dans ses goûts comme dans ses mérites, le dessin tient une place à part, la plus essentielle, la première. Il veut voir sa pensée figurée, et toute description écrite lui semble incomplète. Pour lui, le moindre croquis vaut mieux. Il lui est arrivé plus d’une fois d’exprimer sa pensée sous une forme littéraire, et il y parvient sans grand effort, dans une langue imagée, concise, d’un tour vivant et avec une singulière propriété de termes. Mais le plus souvent il s’interrompt, comme mécontent de sa prose, et soit qu’il la trouve insuffisante ou qu’il veuille se faire mieux comprendre, il recourt au dessin comme à un procédé plus simple, plus net, plus communicatif. C’est pour lui une langue universelle, bien supérieure à toutes les langues particulières. En tout cas, c’est son vrai langage, et il y excelle.

Il n’y a pas à s’étonner que dans la prodigieuse quantité des