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de petits tableaux dans lesquels certains animaux figurent comme des symboles ou des exemples de moralité offerts à l’homme : le corbeau, le coq, l’abeille, la huppe, le crapaud, le crocodile, etc. Le dernier de ces apologues, celui du crocodile, est même assez curieux et nous prouve l’ancienneté du dicton sur les larmes de cet animal. « Le crocodile, dit Léonard, prend l’homme et le tue aussitôt ; après qu’il est mort, il le pleure avec une voix lamentable et beaucoup de larmes. Ses lamentations finies, il le dévore cruellement. Ainsi fait l’hypocrite, qui pour chaque chose légère, s’emplit le visage de larmes ; et, se montrant ainsi avec un cœur de tigre, il se réjouit en lui-même du mal d’autrui avec un visage en pleurs. »

On le voit, cette tendance à pousser tout à l’extrême, à voir à la fois la face et l’envers des choses, à les opposer ou à les grouper entre elles d’après leurs affinités ou leurs contrastes, se retrouve dans l’art comme dans l’esprit de Léonard, dans les distractions qu’il s’accorde aussi bien que dans ce qui fait l’objet de ses plus sérieuses préoccupations. Jaloux d’embrasser dans ses recherches l’universalité des connaissances, ce maître prodigieux passe incessamment d’une étude à l’autre. Bien loin, par exemple, de montrer pour celle du paysage le dédain qu’affichait Michel-Ange, il se sentait attiré vers elle par l’amour que lui inspirait à la fois la nature et son art. Il a toujours été curieux des problèmes de la lumière et des ressources pittoresques si variées que le clair-obscur peut offrir au peintre afin d’ajouter à l’intérêt de ses compositions. « Regarde la lumière et considère sa beauté, » dit-il à l’artiste, et il voudrait qu’au lieu d’offrir un jour constamment égal, son atelier fût disposé pour qu’on pût à volonté y modifier les conditions d’éclairage des modèles. Il ne se lasse pas, pour son compte, d’observer dans la campagne les divers effets de soleil, notamment sur les montagnes, avec l’atténuation graduelle de leurs teintes et le bleu plus ou moins accusé dont elles se colorent suivant leur éloignement et la qualité de l’atmosphère. Il veut qu’on détermine avec une attention scrupuleuse toutes les valeurs des plans d’un paysage, en spécifiant d’abord la plus claire et la plus sombre, puis, entre ces termes extrêmes,