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produire, il tend à des résultats plus immédiats et plus pratiques. Bien compris, il offre à tous une instruction dont les plus humbles comme les plus hautes aspirations peuvent tirer profit. Il ne sera jamais inutile, même à un artiste, d’avoir, au début de sa carrière, appris à tracer des lignes bien droites, à comparer entre elles leurs longueurs variées, à les diviser en parties égales, — et Léonard lui-même recommande à ses confrères de pareils exercices, — à apprécier les angles qu’elles forment entre elles et à s’élever graduellement à des études destinées à procurer la sûreté de la main et « le bon jugement de l’œil. » L’idéal évidemment n’a pas grand chose à voir à ces modestes exercices, ou plutôt, l’idéal qui doit être proposé aux débutans c’est la docilité qu’ils mettront à s’en acquitter de leur mieux.

Si nombreux, si intéressans que soient les préceptes que nous avons jusqu’ici empruntés aux manuscrits de Léonard, notamment à son Traité de Peinture, ou ceux qui nous ont paru dériver de l’étude de ses dessins, ils ne constituent cependant qu’une part assez restreinte des enseignemens qu’on en peut tirer. Ils ont trait, en effet, à la culture générale que le maître juge nécessaire à tous les artistes. Quant à lui, il n’entendait pas s’y borner. Au lieu de vivre sur le fonds qu’il avait amassé, il tenait à le renouveler sans cesse. Avide de perfection comme il était, il estimait que jusqu’à la fin, il devait s’instruire, et il s’appliquait à rendre chacune de ses œuvres aussi accomplie que possible. A mesure qu’il sait plus, il cherche à faire mieux. Que le sujet qu’il avait à traiter lui fût imposé ou qu’il l’eût choisi, il s’efforce tout d’abord de bien se pénétrer de ses conditions, de s’en approprier toutes les ressources et de le vivre, pour ainsi dire, en s’absorbant en lui tout entier.

Dès ses débuts, naïvement et comme d’instinct, c’était déjà sa façon de procéder. L’anecdote bien comme de la rondache nous le montre s’entourant des bêtes les plus étranges et les plus affreuses : des grillons, des araignées, des reptiles et des chauves-souris, les observant et cherchant ainsi à stimuler son imagination, afin de combiner entre eux les divers élémens que lui fournit la réalité, de manière à créer un animal fantastique fait pour produire l’impression d’horreur et d’effroi qu’il veut inspirer. De même dans une autre œuvre de sa jeunesse, le carton de la Tentation de l’Homme, pour donner dans cet épisode quelque idée du Paradis terrestre, il se remplit les yeux et l’esprit des