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d’avoir fait preuve antérieure d’alpinisme. La deuxième, de ces conditions me, manquant partiellement, j’avais dû renoncer à m’aventurer sur l’incertaine piste qui s’en va, dit-on, de lacet en lacet, finir aux moraines des glaciers ; j’abandonnais le projet, cependant caressé, de campement au désert sous la huile indienne, — si haut et si loin que, seules, quelques pauvres tribus y vivent, dominant tous les paysages de la terre et de la mer, devant un des plus beaux songes réalisés, paraît-il, qui aient jamais frappé une prunelle humaine. A vrai dire, je ne perdais point toutefois le bénéfice entier de ce spectacle, et, s’il m’était refusé de le dominer par six ou sept mille mètres d’altitude, du moins en avais-je pu pressentir quelque chose, de bas en haut, le matin de notre arrivée sur ces cotes, quand l’admirable montagne, vue de la pleine mer, dégradant ses couleurs du vert des vallées aux neiges de ses crêtes, s’était dressée, totale dans le soleil, en nous arrachant un cri de joie…

Obligé de limiter mes pas, j’avais donc opté pour une simple excursion vers l’ « Escalera de los Indios, » en m’arrêtant au retour devant le site historique vénéré par tous les Colombiens.

C’est encore au milieu de ces bois, de ces bois légers, diaphanes, rayés de soleil, issus d’une terre poudreuse, de cette plaine forestière toute rase où, dès le soleil levés les heures sont lourdes et brûlent. Il y fait un grand silence, naturellement, peuplé, par compensation, d’hôtes gracieux. Une quantité incroyable de palombes y a élu domicile ; et, quand elles ne se faufilent pas à travers ces ramées légères, elles sont charmantes, trottant menu sur la cendre du chemin devant le promeneur, pour finir toujours par s’envoler au terme de leur course. Avec ces doux oiseaux qui remplissent l’air de leur roucoulement caché, d’autres habitans inquiets se trahissent, détalent éperdument sous vos pas ; par exemple, des espèces de gros iguanes bleus, lézards d’un âge disparu, qui traversent, en courant, les fourrés, les yeux tournés vers vous, la queue relevée comme celles d’un faisan.

Voilà le cadre délicieux et désert où tout à coup une éclaircie se fait dans les feuillages, — enclos incertain, circonscrit de fil de fer, et où surgit, très simple, mais inattendue, une hacienda abandonnée. Trois petits corps de logis carrés, isolés, d’un style passé et d’une époque purement espagnole, avec, entre deux cocotiers, une haute statue de marbre blanc qu’environne un