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de vue, ils se valent, et la différence des temps n’y fait rien. Mais ce n’est pas pour les tours pendables des Repues franches que nous admirons Villon, et ce n’est pas pour ses vers à la belle haulmière ou à la gente saulcissière que l’histoire de la littérature a retenu son nom. Seulement, il a souffert de son abjection, il a eu honte de lui-même, et dans un temps où l’âme humaine était tout imprégnée de christianisme, le retour sur soi l’a amené à exprimer de graves et de mélancoliques pensées. Cette humilité, ce mépris et ce dégoût de soi, ce sentiment de repentir et de regret, c’est ce qui a manqué au Verlaine de l’œuvre complète. Non content de nous initier, d’un bout à l’autre de cette œuvre, à toutes les turpitudes de sa vie, il se plaît à en évoquer l’image et à en prolonger le souvenir. Il s’installe paisiblement dans son abjection. Il l’étale avec un cynisme tranquille et gai. Il détaille le récit de ses fautes, non dans une pensée d’expiation, mais pour le plaisir de nous en éclabousser. Il se compare au reste des hommes, et ce qu’il trouve au bout de cet examen, c’est la satisfaction de soi et la fierté. « L’ensemble de mon œuvre en vers et en prose témoigne assez, d’aucuns trouvent que c’est trop, de beaucoup de défauts, de vices même et d’encore plus de malchance plus ou moins dignement supportée. Mais tout de même, sans trop de vanité ou d’orgueil même, le mot de Rousseau peut servir de morale moyenne à ma vie : on est fier quand on se compare. » C’est pourquoi il se met en devoir, avec l’autorité qui lui est propre, de tancer vertement son époque et de lui reprocher avec une vertueuse indignation qu’elle ait renié l’idéal de jadis. Il gémit sur l’état de la France qu’il voit


Dépravée, insensée, une fille, une folle
Déchirant de ses mains la pudeur des aïeules,
Et l’honneur ataval et l’antique parole,
La parlant en argot pour des sottises seules,
L’amour s’évaporant en homicides vils
D’où quelque rare enfant, pâle fantôme, sort,
Son Dieu le reniant, pour quels crimes civils ?


Il compose encore tout un livre d’invectives où il s’en donne à cœur joie d’injurier ses contemporains et de déverser sur eux des trésors de fiel. La vanité et la haine habitaient le cœur de ce poète de la douceur.

On lui a fait honneur de sa sensualité elle-même, on a magnifié cet « orgueil de la vie » qui se traduit par un appétit de toutes les jouissances, on a célébré en lui le satyre à la face camuse, et trouvé une