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déclare son amour, tout cela nous est raconté très agréablement, d’un ton à la fois très simple et très varié. Et si les deux caractères d’Éléonore et de son cousin ne parviennent guère à nous toucher, ayant tous deux quelque chose de trop « inhumain » dans la continuité de leur égoïsme, le caractère de Lucy est, par contre, charmant, plein de vie et de vérité dans sa fraîcheur juvénile. Il nous montre, une fois de plus, l’art particulier de Mme Humphry Ward à créer d’aimables figures de jeunes filles ; et une fois de plus il nous porte à regretter que Mme Humphry Ward ne tire pas de cet art autant de profit qu’elle en tirerait, à coup sûr, si elle consentait à s’y livrer tout entière, au lieu de vouloir rivaliser avec George Eliot dans un art qui décidément n’est point fait pour elle.


Peu de romanciers anglais d’à présent savent, aussi bien que l’auteur d’Eleanor, dessiner de gracieuses figures de jeunes filles ; et personne, peut-être, ne sait aussi bien qu’elle peindre un paysage, donner en quelques lignes l’impression vivante d’un coin de nature. C’est ce que nous atteste, une fois de plus, son dernier roman. Mais la nature qu’elle nous y décrit n’est plus, cette fois, celle des sévères collines du Westmoreland. Elle se plaît à nous transporter en Italie. L’ermitage où se réfugie Edouard Manisty, pour écrire son livre sur l’Église et l’État, se trouve être une villa de la Campagne Romaine, non loin d’Albano ; le lac où il conduit Éléonore et Lucy est le vénérable petit lac de Nemi ; et lorsque plus tard les deux femmes s’enfuient, c’est dans un village des environs d’Orvieto qu’elles essaient de se cacher à la poursuite de l’homme qu’elles adorent. Ce qui nous vaut une foule de paysages italiens, dont quelques-uns sont d’une couleur et d’une émotion admirables, surtout dans la première partie ; car ceux de la seconde, de même que l’action du roman et peut-être à cause d’elle, ne laissent pas de paraître quelque peu monotones. Et d’une façon générale, au reste, ces paysages italiens n’ont point la variété des paysages anglais que, récemment encore, nous avions l’occasion de louer dans Helbeck of Bannisdale[1]. On sent que Mme Ward, quelque soin qu’elle ait mis à les observer, ne les connaît point d’une façon aussi intime ni aussi familière. Parfois même nous ne serions pas surpris qu’elle commit de légères erreurs de topographie et d’archéologie. Tout auteur s’expose à en commettre, quand il parle d’un pays qui n’est pas le sien. Mais, rien de tout cela n’empêche certains

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1898.