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paysages d’Eleanor d’être parmi les plus parfaits qu’on ait jamais écrits. Il y a notamment, dans le prologue du livre, des horizons au coucher du soleil, des vues de Rome, il y a une villa avec sa terrasse, dont on ne saurait souhaiter une image plus réelle tout ensemble et plus poétique. Personne, parmi les romanciers anglais contemporains, n’a plus que Mme Humphrey Ward le sentiment de la nature, ou tout au moins le talent de nous faire sentir la nature. Mais de ce talent-là, non plus, elle ne tire point le profit qu’elle pourrait en tirer : le tout parce que, au lieu de se résigner à nous montrer de belles jeunes filles dans de beaux paysages, elle se croit tenue à continuer George Eliot, et à justifier les espérances fondées autrefois sur elle par Thomas Huxley. Et l’agnosticisme, décidément, lui réussit de moins en moins à chacun de ses nouveaux livres.

Car, tout comme Helbeck of Bannisdale, Eleanor est un roman « agnostique. » Mais l’agnosticisme n’y revêt plus absolument que sa forme sinon la plus naturelle, du moins la plus familière et la plus commune, qui consiste à déprécier la religion catholique. Entre les divers épisodes du petit roman d’amour dont on vient de lire l’analyse — et pour le plus grand dommage de son intérêt romanesque, — Mme Ward s’est avisée de nous offrir une soi-disant peinture des mœurs catholiques. C’est ce qu’elle avait fait déjà, — on s’en souvient peut-être, — dans son dernier roman ; mais le pamphlet y était encore plus ou moins lié à l’intrigue du récit, et puis on était en droit de supposer que les mœurs décrites pouvaient être, en effet, celles de certains catholiques anglais, réagissant contre les tendances libérales de leur milieu protestant. Ici, rien de pareil. Ni Edouard Manisty, ni Eléonore, ni Lucy ne sont catholiques ; le drame qui se joue entre eux n’a pas le moindre rapport avec le milieu tout accidentel où ils se trouvent placés ; et les mœurs catholiques que prétend nous décrire Mme Ward ne sont plus celles d’un petit groupe d’excentriques anglais, ce sont bien les mœurs catholiques en soi, telles qu’au jugement de l’auteur elles sont et doivent être.

Ces mœurs, d’ailleurs, sont infiniment plus fâcheuses encore que ne nous les montrait Helbeck of Bannisdale. Il n’y a pas de sottise qu’elles n’impliquent, ni de fausseté, de bassesse, de laideur morale et de dégradation. Par le seul fait de leur catholicisme, les cardinaux sont des hypocrites, les prêtres des coquins, les séminaristes des niais ; par ce seul fait les paysans sont des mendians, et même des assassins quand l’occasion s’en présente. J’ajoute que le roman de Mrs Humphry Ward contient une thèse générale : il a pour objet de