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hésitans et les faibles, intimidés par la surveillance qu’on exercerait sur eux, n’oseraient pas le faire à découvert. Le premier qui oserait répondre à l’appel de son nom et monter à la tribune, serait couvert de telles huées que les autres seraient découragés de suivre son exemple. On espérait ainsi ne pas avoir le quorum, en d’autres termes le nombre de votans nécessaire pour qu’un vote soit valable. Ce serait déjà un grave échec pour M. Deschanel : on crierait bien haut qu’il n’avait pas la majorité de la Chambre, que l’épreuve faite en était la démonstration convaincante, et, en vertu de cette loi psychologique qui poussait déjà les moutons de Panurge à suivre l’exemple les uns des autres, quoi qu’il pût leur en coûter, la majorité se grouperait au second tour de scrutin autour de M. Brisson. Avons-nous besoin de faire remarquer combien il aurait été choquant de violer le règlement pour la nomination du président, qui devrait ensuite le faire respecter ? Or, le règlement veut que le vote soit secret, et non pas sans raison. Il est toujours délicat et souvent dangereux, dans les questions de personnes, de procéder au scrutin public ; il en reste inévitablement des animosités et des rancunes entre l’élu et ceux qui n’ont pas voté pour lui ; et, quand bien même le candidat favorisé saurait se mettre au-dessus de ces petits sentimens, on ne pourrait pas l’espérer de tous ses amis. Le président de la Chambre ne doit pas être l’homme d’un parti : il appartient également à tous, et il importe que son impartialité ne soit pas même suspectée. La prescription du règlement est donc sage et tutélaire.

La dernière Chambre, dans un de ces accès de vertu politique qui s’emparaient d’elle de temps en temps, a supprimé le scrutin secret pour les votes ordinaires, et ne l’a conservé que pour les questions de personnes. Il faut, disait-on, que chacun prenne hautement la responsabilité de ses votes, et que l’électeur sache toujours comment, dans telle ou telle affaire, son représentant s’est prononcé. Nous sommes loin de contester ce qu’il y a là de sérieux. Si le vote était toujours secret, ou même s’il l’était le plus souvent, il serait trop facile au député d’échapper au contrôle de l’électeur : le mandataire ne pourrait pas savoir comment a été rempli le mandat qu’il aurait donné. Mais la règle la plus générale a ses exceptions, et il y a eu dans la suppression radicale du scrutin secret quelque chose de trop absolu. Il était bon dans certaines circonstances, et par exemple lorsqu’une campagne d’intimidation et de violence a dépassé certaines limites, que la liberté personnelle du député pût trouver un refuge dans le scrutin anonyme. Il suffisait même que cela fût possible, pour