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soient pour frapper tous les esprits non prévenus, s’efface et disparaît devant un fait positif et indubitable qui les prime toutes. Ce fait est celui-ci. La lettre, affichée le 4 septembre sur les murs de Paris, sous la signature de Pichegru, et reproduite dès le lendemain par les journaux à la dévotion du Directoire, constituait un faux. Pichegru n’en était pas l’auteur. C’est la police qui l’avait imaginée, en présentant comme mise sur le papier par le général une réponse verbale que lui attribuait Montgaillard. C’est aussi cette police qui, dans la version envoyée par Bonaparte à Paris et pour en établir l’authenticité, avait glissé les mots : « écrit de ma main, » lesquels n’existent pas dans l’original.

Il eût donc été facile à Pichegru d’en démontrer la fausseté, s’il eut été mis en demeure de s’expliquer ou si, conformément aux lois qui soumettent au jugement de ses pairs la conduite d’un général accusé de trahison, il eût été traduit devant un conseil de guerre. Maison ne voulait pas lui donner des juges. Ce qu’on poursuivait en lui, plus encore que le soldat, c’était l’homme politique dont la popularité menaçait le Directoire. Celui-ci agissait révolutionnairement. A l’heure où, à l’aide d’un faux caractérisé, il déshonorait à jamais Pichegru sans l’avoir mis à même de se défendre, le président des Cinq-Cents était emprisonné. Les directeurs triomphans signaient le décret qui le condamnait à la déportation, avec leurs collègues Carnot et Barthélémy, divers membres du Corps législatif et de nombreux suspecte arrêtés en même temps que lui. Un faux, voilà donc ce qu’on trouve à l’origine de la légende sous laquelle, depuis plus d’un siècle, sa mémoire est restée écrasée.

Il est vrai que, quelques jours plus tard, se produisait un incident qui parut corroborer les accusations de Montgaillard. Une lettre signée du général Moreau, successeur de Pichegru au commandement de l’année de Rhin-et-Moselle, arriva à Paris, à l’adresse du directeur Barthélémy. Compris dans les proscriptions du 18 fructidor et moins heureux que Carnot, qui avait pris la fuite, Barthélémy était déjà en route pour Sinnamari. La lettre de Moreau, en date du 17, fut remise au Directoire. Il en prit connaissance. Elle lui révéla que, le 21 avril précédent, après le passage du Rhin, les équipages du général de Klinglin, major général de l’armée autrichienne[1], ayant été capturés, on avait

  1. Emigré français passe au service de l’Autriche, il était le petit-fils de Joseph de Klinglin, préteur royal à Strasbourg, père de la seconde fille d’Adrienne Lecouvreur.