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dans ces lettres, coule à pleins bords. On a la sensation d’être entré dans une caverne où s’agite, nuit et jour, une bande d’aigrefins et d’escrocs, exploitant la crédulité de quelques naïfs qu’ils se sont adjoints et cherchant à se procurer, coûte que coûte, des ressources destinées, prétendent-ils, à payer le concours de Pichegru et à assurer des moyens d’action à cet illustre soldat du nom duquel ils usent et abusent à qui mieux mieux. Dans une instruction judiciaire sérieuse, ouverte contre lui par un magistrat consciencieux et désintéressé, aucune de ces pièces n’eût été admise.

Telle parut être l’opinion de Moreau, lorsque son subordonné Reynier, ayant commencé le laborieux déchiffrement des papiers à l’aide d’une clef qui y était jointe, on put comprendre qu’ils mettaient en cause Pichegru. Est-ce pour ce motif qu’il garda le silence ? Fut-il retenu par In crainte de perdre, en le dénonçant, un compagnon d’armes qui aimait à l’appeler son plus cher ami et auquel il devait en partie son avancement ? On ne peut s’en référer à cet égard qu’à ses propres déclarations, Jusqu’au 19 fructidor, il s’était abstenu d’accuser Pichegru. Ce jour-là seulement, ayant eu vent de ce qui se préparait à Paris, il sortit de son abstention et écrivit à Barthélémy.

Il convient de rappeler ici qu’en 1804, après son arrestation, dans un des interrogatoires que lui fit subir Real, il expliquait comme suit la conduite qu’il avait tenue en 1797 : « Dans la courte campagne de l’an V, nous prîmes les bureaux de l’état-major de l’armée ennemie. On m’apporta un grand nombre de papiers, que le général Desaix, alors blessé, s’amusa à parcourir. Il nous parut par cette correspondance que le général Pichegru avait eu des relations avec les princes français. Cette découverte nous fit beaucoup de peine, et à moi particulièrement. Nous convînmes de la laisser en oubli. Pichegru, au Corps Législatif, pouvait d’autant moins nuire que la paix était assurée… Les événemens du 18 fructidor s’annoncèrent. L’inquiétude était assez grande. En conséquence, deux officiers qui avaient connaissance de cette correspondance m’engagèrent à la communiquer au gouvernement. Ils me tirent entendre qu’elle commençait à devenir publique, J’étais fonctionnaire et je crus alors devoir en parler à Barthélémy, l’un des directeurs, en lui demandant conseil et en le prévenant que ces pièces, quoique assez probantes, ne pouvaient constituer des pièces judiciaires. »