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avait pas depuis trois jours. Je vous le répète, citoyens représentans, il est temps que vous vous occupiez de cette armée. Ce qu’on en a fait partir pour l’armée des Alpes[1], les maladies, la désertion, les batailles, l’ont diminuée à un point, incroyable. La cavalerie dépérit tous les jours et l’artillerie n’a presque plus de chevaux. Je n’ai pu encore obtenir une capote. Les troupes sont toujours dans le même dénûment. Je ne puis que me louer de leur contenance. Elles sont totalement revenues de la première terreur que leur avait causée la retraite de Mayence. »

Deux mois avant, à ce même camp de Mayence, s’étaient déjà produites des scènes de désertion et de désordre. En les dénonçant, Pichegru les attribuait à la mauvaise qualité du pain, à la négligence des commissaires des guerres sur Lesquels il n’avait aucune autorité. Elles étaient dues aussi au mécontentement des troupes lasses de souffrir et qui depuis longtemps demandaient en vain à être payées en numéraire, « ne pouvant se rien procurer avec des assignats. »

Ce qui favorisait l’indiscipline, c’est que les officiers, le général en chef lui-même, n’avaient en leur pouvoir que d’insuffisans moyens de répression, et que, d’autre part, les tribunaux militaires, qui disposaient seuls des grands moyens de justice et de police, étaient déplorablement composés. « Le général en chef n’a le droit ni de suspendre ni de destituer. Toutes les voies de répression se bornent pour lui comme pour les autres à la simple prison. Aucune autre peine ne peut être infligée que par les tribunaux militaires, qui ont plus concouru jusqu’ici à détruire la discipline qu’à la maintenir. Leur réorganisation même ne produira pas l’effet qu’on doit en attendre, si l’on ne fait pas en même temps le triage des officiers de police, dont la plupart n’ont ni moralité ni instruction. »

On ne saurait s’étonner qu’en de telles conditions, l’armée ait perdu le respect, qu’elle ait pris des habitudes frondeuses, que les soldats désertent et écoutent avec complaisance les émigrés qui, de Suisse ou du camp de Condé, se glissent jusqu’à eux pour leur prêcher la mutinerie. Les uns partent simplement

  1. Au mois d’août, 10 000 hommes avaient été détachés de l’armée de Rhin-et-Moselle, malgré les énergiques protestations des représentans du peuple, en mission à cette armée, pour être expédiés à celle des Alpes. Les représentans poussèrent la résistance jusqu’à annuler l’ordre du Comité de Salut public. Mais celui-ci exigea, et force fut de lui obéir.