Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Devant cet ensemble imposant de citations et de preuves que nous oserons qualifier de lumineuses, et qui apparaîtront avec encore plus d’éclat, au fur et à mesure qu’après avoir réduit à leurs équitables proportions les rapports de Pichegru avec les émissaires de Condé, nous avancerons dans ce rapide récit de la néfaste campagne de 1795, que deviennent les griefs imputés à ce malheureux soldat ? Que devient l’affirmation de Montgaillard, qu’un historien comme Louis Blanc n’a pas craint de prendre à son compte, « que Pichegru ne somma le gouverneur de Mannheim de rendre la place qu’après y avoir été contraint par l’énergique insistance de Merlin de Thionville ? »

Et les jugemens du maréchal Soult, énoncés dans des Mémoires écrits en 1816 et publiés seulement en 1854, que valent-ils ? Blâmant les opérations militaires de Pichegru et constatant que l’armée de Sambre-et-Meuse, privée du concours de l’armée de Rhin-et-Moselle, était dans une situation dangereuse, il déclare « que Pichegru ne fit rien, malgré les instances de Jourdan, et qu’on ne comprenait pas son inaction. Ce n’est que longtemps après, ajoute-t-il, que nous en avons en l’explication. » Explication donnée par qui ? Par des hommes attelés aux plus viles besognes, qu’on a vingt fois convaincus de mensonge et dont nous aurons à révéler les innombrables supercheries. Le maréchal Soult n’a en d’autres sources de conviction que ses observations personnelles, qui ne sauraient être considérées comme infaillibles, les récits de Montgaillard et de Fauche-Borel, et les papiers de Klinglin qui ne méritent pas plus de crédit.

Au surplus, les accusateurs auraient bien dû se mettre d’accord entre eux. Là où Soult voit des preuves de trahison, Gouvion Saint-Cyr, moins injuste, ne voit que des preuves d’incapacité, auxquelles il enlève d’ailleurs lui-même une partie de leur valeur en établissant que, durant cette campagne, « les retards de Jourdan firent tout manquer. » Il accuse bien Pichegru d’avoir trahi, mais il ne fait dater la trahison que de l’armistice de décembre, alors que Pichegru ne combattait plus et qu’il était résolu à quitter le commandement de l’armée de Rhin-et-Moselle après avoir fait nommer Moreau à sa place. Elle est formelle à cet égard, la déclaration de Gouvion Saint-Cyr. Elle met en pièces les dires de tous ceux qui ont prétendu que la trahison de Pichegru avait pesé sur les opérations militaires : « Je ne peux être de l’avis de ces personnes, ne voyant que des fautes là où elles