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d’une ligne de charbon, un petit chat aux aguets et qui cligne l’œil. Les souris en ont une telle peur, dit-on, que jamais elles ne s’aventurent dans cette enceinte sacrée.

Les Japonais ne se bornèrent point à reproduire la pose et la couleur de l’animal. Ils connurent ses mœurs et traduisirent ses mouvemens en paroles et en pensées. Leurs fables et surtout les sermons populaires des bonzes sont pleins de traits qui nous rappellent La Fontaine, quand il arrive à La Fontaine d’être assez pris par l’observation directe des bêtes pour ne point faire uniquement de leur plume ou de leur fourrure un amusant travesti. Les souris sont venues prier la miséricordieuse Kwannon, car dans le logis où elles furetaient si tranquillement, leur hôte a introduit un chat. Et comme elles descendent les degrés du temple, elles rencontrent un vieux sage de crapaud. Le crapaud, donneur de bons conseils et strict observateur des lois de la politesse, garde toujours la posture du Japonais obséquieux, qui vous salue agenouillé et prosterné les mains à plat sur le tatami. Pendant que ces demoiselles au museau futé lui content leur histoire, il leur marque son attention en ouvrant et fermant les yeux et, quand elles font appel à son expérience, il se rengorge. Vous avez là, dans sa réalité piquante, une scène habituelle de la vie japonaise. Que de fois, lorsque je parcourais les temples, je vis des petites dames trotte-menu, enfarinées, vêtues de kimonos clairs, consulter, au seuil de sa logette, un vieux bonze en robe foncée qui soulevait et baissait gravement les paupières et, au bruit de leurs éloges, aspirait tant d’air que sa gorge se gonflait comme un goitre ! Souris ou dames, bonze ou crapaud, mon souvenir ne distingue plus entre ces personnages, et, depuis que j’ai assisté au défilé d’un ancien cortège seigneurial, m’est avis que les humoristes japonais croquèrent sur le vif leurs processions dansantes d’insectes cuirassés de laque, empanachés d’antennes, empêtrés de longs dards et comme hérissés de piques.

Ce même réalisme, vous le retrouvez dans les esquisses, ébauches, illustrations, caricatures où l’artiste étudie les mouvemens de l’homme. Le fameux Hokusai, plus fameux en Europe qu’au Japon, n’a point été un novateur, et, si nous le préférons à ses prédécesseurs et ses rivaux pour la variété de son œuvre où chaque coup de pinceau a la précision d’un document, ses compatriotes ne vantèrent en lui qu’un élève admirable des grands maîtres. L’élégance du samuraï, habile mélange de