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moinillons et des geishas, les tribulations conjugales et la jalousie des belles-mères ébaudissent le public des yosé non moins que s’il était composé de raillards tourangeaux. Il aime les reparties imprévues et les saillies heureuses et les facéties exubérantes. Citerai-je le faquin Kisaburo qui près de la boutique d’un rôtisseur d’anguilles mangeait son riz à la fumée du rôt ? Il en paya l’odeur non point avec le son, mais avec la vue de son argent. Et certes l’anecdote japonaise ressemble bien plus à la sèche nouvelle du recueil italien, dont les voyageurs japonais du XVIe siècle l’ont peut-être tirée, qu’au récit où Rabelais appuya sa touche vigoureuse. Mais ce qu’elle perd littérairement, elle le regagne aux jeux de physionomie du parleur.

Il en est de même des dits et gestes du célèbre bonze Ickyu, ce moine du XIVe siècle dont la grossière enveloppe cachait tant de finesse et d’humanité. Du temps qu’il n’était encore qu’un petit élève bonze, un soir, en passant devant la chambre de son maître, il huma une odeur de poisson grillé. Etonné de sentir une telle cuisine dans une bonzerie où la règle défendait le poisson, il entre brusquement : « Personne ne t’a appelé, s’écrie le moine qui déjà se pourléchait. Va-t’en ! — Je m’en vais, dit Ickyu, mais que mangez-vous là ? — Du saumon salé. — Hé ! À quel arbre l’avez-vous cueilli ? — Ce n’est pas le fruit d’un arbre, grommela le Maître impatienté : c’est un poisson qu’on nomme saumon. » Ickyu prit un air ébahi : « Hé vraiment ! Un poisson nommé saumon ! Les bonzes peuvent donc manger des poissons maintenant ? — Non, mais cela m’est permis parce que je célèbre un indo, c’est-à-dire que je conduis une âme dans un autre monde. — Hé vraiment, un indo ! — Oui, un indo ! répète le Maître de plus en plus irrité. Ce poisson est mort, et, mort, pareil à une branche morte. Si même je le rejetais à l’eau, pourrait-il nager ? L’indo consiste à lui dire : « Il vaut mieux que tu entres en moi et qu’avec moi tu parviennes à la sempiternelle béatitude. » Sur ce, le Maître joignit les mains et tomba en prières devant son poisson dont le parfum qui chatouillait pieusement les narines : Namu-amida-butsu ! Namu-amida-butsu ! » tandis que l’enfant incliné murmurait : « J’ai compris et je vous remercie, Maître ! » Le lendemain, aussitôt levé, Ickyu attrape une carpe dans l’étang, entre à la cuisine, et, le couteau à la main, se met en devoir de l’écailler. Toute la moinerie s’émeut. Le Maître accourt. « Ne vous inquiétez point, s’écrie le