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d’accroître leurs dimensions, soit en texte, soit en annonces, c’est parce qu’elles savent que notre peuple jusqu’ici répugne à cet encombrement de papier où se plaisent des peuples voisins.

Les annonces n’affluent qu’à la condition d’être profitables ; or elles ne sont profitables qu’à la condition d’être lues et, depuis la Déclaration des droits de l’homme, il semble difficile d’obliger les citoyens à les apprendre par cœur. C’est affaire aux négocians d’attirer l’œil sur leurs élucubrations, et ils ne le cèdent, dans notre République, à ceux d’aucune autre nation : les Américains disent qu’avec une publicité bien conduite on arriverait sûrement à faire admettre par tout le monde que les noyaux de pêche contiennent des perles fines ; et l’un de nos compatriotes affirmait naguère qu’avec des réclames bien tournées il vendrait l’eau de la Seine en bouteilles. Je ne sais s’il l’a vendue effectivement ; mais le succès de certaines entreprises et, par exemple, la vogue récente de ce que l’on nommait des « boules de neige, » fédérations grâce auxquelles une nuée de bonnes gens crurent acheter toutes sortes d’objets pour le dixième de leur valeur, prouve que la bêtise humaine est sans limite, puisque les inventeurs de ces machines n’en ont pas touché le fond.

L’annonce, quoique étant par définition une offre sans phrases, a, pour se faire mieux voir, de petites finesses : clichés placés à l’envers où étrangement maculés d’une éclaboussure d’encre, qui piquent la curiosité. Au contraire, c’est une demi-page blanche qui surprend le regard, avec cette annotation dans l’angle inférieur, en tout petits caractères : « Cette place était louée par la maison Dupont frères ; mais les affaires de cette maison, qui peut à peine contenter sa nombreuse clientèle, sont si prospères, qu’elle renonce à toute publicité. » Par le bruit colossal et incessant, qu’il a fait dans toutes les parties du monde autour de son savon : le Pears soap, un fabricant de Londres est arrivé à vendre, de ce seul article, 15 millions de francs chaque année.

En France également, quelques annonces heureuses ont édifié des fortunes : longtemps après que M. Rigollot, fondé de pouvoirs de la chocolaterie Ménier, eut promulgué l’affirmation fameuse, « Ce chocolat est le seul qui blanchisse en vieillissant… », les ménagères demandaient aux épiciers s’ils pouvaient leur garantir qu’en devenant vieux ce chocolat blanchirait.