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ou tel bitter est le roi des apéritifs ou des bouillons. Devant les coteaux pittoresques, les prairies onduleuses, se dresse la hideur insinuante de ces écrans monstrueux, jaunes, bleus ou rouges. C’est, entre eux et vous, une lutte d’obstination. De rares lacunes vous laissent la vision rapide d’un clocher, d’un bouquet d’arbres, d’un troupeau ; et toujours vous espérez la fin des affiches, tandis qu’elles se succèdent sans hâte, avec la régularité précise des choses fatales. Quoi de plus odieux, de plus horripilant ; et, par suite, quoi de plus efficace, disent les annonciers !


VI

Au contraire de ces pancartes qui s’imposent, comme des fâcheux implacables, par leur importunité, d’autres affiches, élevées au rang de l’estampe, demandent à la palette du peintre leurs chances de persuasion. Elles s’efforcent d’obtenir du passant ce coup d’œil dont on se souvient, parce qu’il a plu, et de glisser sournoisement dans sa mémoire, par la suggestion de l’image, un nom que l’obsession du placard nu aurait mis des mois à y fixer. Paris développe ainsi, en une fresque vague, sur des palissades ou des crépis lézardés, la, figuration allégorique de ses spectacles, de ses modes, de sa vie.

C’est la plus récente incarnation de l’affiche. La plus vieille remonte à cent quarante ans avant notre ère, sous l’aspect d’un papyrus égyptien contenant le signalement de deux esclaves échappés d’Alexandrie et promettant une récompense à qui indiquerait le lieu de leur retraite. Les avis officiels se gravaient alors sur la pierre ou sur l’airain ; une stèle du temps d’Hérode le Grand menaçait ainsi de mort quiconque pénétrerait dans l’esplanade du temple. A Rome, on écrivait, au pinceau les annonces des ventes, des locations, des combats de gladiateurs, et Ton peignait, parfois, sur la porte du théâtre, la scène où l’acteur principal se montrait avec le plus d’avantages.

Au XVIIIe siècle, des vignettes appropriées commencent à orner les affiches des confréries religieuses, en même temps que celles des comédiens et des racoleurs militaires. Un équilibriste italien est représenté, en 1730, dans tous ses exercices. Un dragon, d’allure engageante sur un beau cheval, surmonte ; l’invitation : « A la belle jeunesse, qui brûle de servir son roi… ; accourez dans Penthièvre, y est-il dit, dont la gloire est aussi