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des estampes d’intérieur, des gravures de journal, nullement ces habiles débauches de tons criards, qui doivent être des coups de pistolet sur le mur.

Avant tout, en effet, il faut prendre garde que l’affiche illustrée ne « fonde » au milieu de ses voisines ; il faut qu’elle lutte avec les boutiques qui l’entourent, avec les cinq étages des maisons qui la dominent. Tant que le croquis est à l’état d’étude ou de mise sur pierre, le dessin de Chéret ne rend rien ; mais, une fois collé à la muraille, il produit, avec un petit nombre de couleurs, l’effet tout spécial auquel aucun autre n’atteint. Le tirage se fait par trois ou quatre impressions superposées : l’une en bleu foncé, imitant le noir, établit les lignes du crayon, puis la note du rouge et du jaune, enfin le fond : les tons froids, bleus ou verts, dans le haut ; dans le bas, les tons chauds, comme l’orangé.

En trouvant la formule de la décoration extérieure, Jules Chéret a trouvé aussi la notoriété et l’aisance. De ses mains sont sorties plus de 1 000 affiches, payées 600 francs chacune, outre 50 exemplaires avant la lettre, qui, revêtus de sa signature, acquièrent aussitôt un bon prix dans le monde des collectionneurs. L’artiste prépare maintenant, suivant ses tonalités de plein air, un grand panneau pour l’Hôtel de Ville : les Joies de la vie, et l’on exécute aux Gobelins une tapisserie dont il a fourni les cartons.

Là disparait pour lui cette lancinante obligation de marier, par gré ou par force, une « petite femme » affriolante avec des machines à coudre ou des pâtes alimentaires, des chicorées ou des pétroles, des eaux sulfureuses ou des hôtelleries ; car il faut que l’image toujours fasse corps avec la réclame. Les cliens ont leurs exigences !

Presque toutes les industries ont eu recours, depuis quinze ans, aux placards illustrés : des parfumeurs et des photographes, des ustensiles de voyage et des compagnies d’assurances, des poêles et des parapluies, surtout des théâtres et des cafés-concerts. Pour célébrer dignement ces produits, ces besoins et ces institutions diverses, la publicité imagée a fait passer sous nos yeux des humains de tout âge et de toute condition, faisant à peu près tout ce que l’on peut faire en ce monde, jusques et y compris de « porter sa tête sur l’échafaud, » — suivant l’expression consacrée, — car les condamnés à mort n’ont pas manqué