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sonnets nous donnent plutôt l’idée de quelque « amante en l’air. » Mais il ne faut pas oublier que cette idéalisation de la personne était une condition du genre ; qu’elle en était même l’objet ; et surtout, il n’en faut pas conclure que les sonnets de Pontus de Tyard ou de Du Bellay n’aient pas été ce qu’on appelle aujourd’hui « vécus. »

Souvenons-nous ici des doctrines de la Défense. Ni Du Bellay ni Ronsard, en écrivant leurs Odes ou leurs Amours, ne se sont proposé de se prendre eux-mêmes pour sujets de leurs vers, et ce n’est pas du tout dans l’expression de leur personnalité qu’ils ont vu la définition du lyrisme. On les juge donc mal, et, quelque jugement que l’on en fasse, on les juge à contresens quand on les juge sur une intention qui n’a pas été la leur, et notamment quand on apporte à la lecture de leurs poésies amoureuses des préjugés qui ne répondent ni à leur conception de la poésie ni à leur conception de l’amour. Servons-nous à ce propos d’une expression plus moderne qu’eux-mêmes : « classiques, » en ce point, et déjà contemporains de tels poètes qui ne viendront que longtemps après eux, ils n’ont prétendu qu’à revêtir d’une belle forme d’art dés sentimens généraux ; et ce sont bien des lyriques, mais ce sont surtout des humanistes, et des artistes, qu’il nous faut surtout voir en eux.


Seul et pensif par la déserte plaine,
Rêvant au bien qui me fait douloureux,
Les longs baisers des colombs amoureux,
Par leur plaisir firent croître ma peine !
Heureux oiseaux ! que votre vie est pleine,
De grand’douceur ! O baisers savoureux !
O moy, deux fois et trois fois malheureux
Qui n’ai plaisir que d’espérance vaine !
Voyant encor sur les bords de mon fleuve,
Du cep lascif les longs embrassemens,
De mes vieux maux je fis nouvelle épreuve.
Suis-je donc veuf de mes sacrés rameaux ?
O vigne heureuse ! heureux enlacemens !
O bords heureux ! ô trop heureux ormeaux.


L’exemple est sans doute caractéristique. Quand Du Bellay s’attarde amoureusement aux détails de ce joli sonnet, est-ce que vraiment il songe à lui-même, ou à son « Olive ? » ou, peut-être,