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portraits des deux cent cinquante-huit Papes qui se sont succédé depuis saint Pierre, avec les médaillons encore vides qui attendent leurs remplaçons. Cela paraît très simple, au premier abord, mais rien n’est plus grand, quand on y réfléchit. C’est le plus solennel acte de foi que la pensée humaine ait pu concevoir, car où pourrait-on trouver ailleurs cette suite non interrompue du passé, en relation directe avec l’avenir ? Quel est aujourd’hui le palais des souverains qui ose se flatter d’abriter un si grand nombre d’ancêtres et d’espérer, sans témérité, de pareils rejetons ? Ce n’est qu’à Rome que l’on trouve ainsi le passé et le présent réunis dans une étreinte commune, d’où nous nous attendons, avec une confiance certaine, à voir sortir et se dérouler l’avenir.

Autocratique par son chef, aristocratique par ses cardinaux et ses évêques, démocratique par ses prêtres et ses fidèles, qui appartiennent à toutes les classes de la société, et la liberté individuelle de chacun garantissant la sincérité de chaque adhérent, l’église catholique réunit à la fois les principes essentiels des gouvernemens les plus divers. Elle serait, par suite, la plus admirable des constitutions humaines, si elle n’était qu’humaine, mais elle ne l’est pas, car des hommes n’auraient jamais pu, à eux seuls, réaliser une conception aussi forte et la faire durer depuis des siècles. Il faut donc regarder plus haut et dire avec le poète, en fixant les yeux sur le Calvaire : Stat Crux, dum volvitur orbis. La croix reste debout au milieu des révolutions du monde.


IV

La satisfaction d’avoir trouvé chez le Pape et à la secrétairerie d’Etat les dispositions favorables que j’ai mentionnées précédemment m’encouragea à me rendre compte de l’opinion individuelle des cardinaux avec lesquels je pouvais me trouver en rapport. L’usage habituel des ambassadeurs était de se borner à visiter le doyen du Sacré-Collège, qui était alors le cardinal di Pietro, et de réserver pour une grande réception officielle l’occasion de rencontrer les autres. Il me sembla qu’il y avait quelque chose à faire de plus. En allant individuellement chez chacun d’eux, aux heures où j’avais le plus de chance de les rencontrer,