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pauvreté même ; plus loin, un autre village : Thoisy-le-Désert, le bien nommé.

C’est, en effet, dans ce désert anonyme, parmi ces marécages, derrière ces bois, au pied de ces coteaux caillouteux, dans l’incertitude de ces champs incultes, que naissent la Bourgogne, Ici Morvan, le Lyonnais, — que naît la France. Il est modeste, mon Saint-Gothard. A lever la jambe, on le tient sous le pied.


Cependant cette cuve est dominée, de loin, par une colline qui, d’en bas, paraît liante et noble : ses flancs sont après : des constructions la couronnent. « Elles sont romaines, » me dit mon cocher ; le lieu est ancien ; il s’appelle Châtellenot. Les Romains ! Quand il s’agit d’eaux, on les rencontre toujours. Quand il s’agit de lignes de faîte ou de partage, ils sont là. Montons à Châtellenot.

Par des chemins raboteux, orniéreux et caillouteux à vous arracher le ventre, nous sommes allés vers la haute colline. Nous traversons d’abord des bouts de bois mal entretenus, aux chemins verts et peu foulés ; mais à mi-côte, voici des haies denses, touffues, vigoureuses et fleuries de troènes, d’aubépines, de sureaux, de roses sauvages. A droite et à gauche, les champs reparaissent et les prairies aménagées où l’on fane le foin.

Tout à coup, au milieu d’un champ, auprès du sommet où est bâti Châtellenot, une statue parmi les herbes. J’approche : sur un piédestal de pierre, une femme est debout, drapée à l’antique ; elle tient à la main une corbeille de graines ou de fruits. C’est une Cérès ou une Pomone ; son port est noble ; la draperie est d’un bon travail, la figure charmante, quoique mutilée par le temps et par les injures des passans. Mon cocher assure qu’elle est romaine ; les paysans qui travaillent aux champs ne savent pas ; « on l’a toujours vue là. » Ce morceau intéressant est-il ancien, est-il connu, est-il classé ? Il m’étonne et me séduit par sa grâce, par son isolement, par l’idée qu’il représente : la Cérès antique, mère des moissons, érigée et conservée séculairement en ce point qui domine, au loin, les horizons de la terre gallo-romaine.

Du pied de la statue, en effet, je découvre, à perte de vue, toute la cuvette où se fait le partage des eaux. Maintenant je la comprends, je la lis, pour ainsi dire, comme une carte. La plaine est toute parsemée de vastes étangs et de réservoirs. C’est, à