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Saône, au point où elle est, peut-être, la plus riche et la plus belle, — où elle est une des plus belles et des plus riches vallées du monde.

Au loin vers le nord, c’est Nuits, c’est Beaune ; à mes pieds, c’est Poinard, c’est Volnay, c’est Meursault ; en face c’est Nolay et Chagny et Chalon-sur-Saône ; un peu au sud, à droite, c’est la région des mines, le Creusot et Montceau-les-Mines. Au-dessus de la vallée, vêtue de brume ensoleillée, au-dessus des lignes populeuses que font les moissons, les herbages, les haies, les villages, les villes, les mines, au-dessus des coteaux vêtus du manteau des vignes, au-dessus encore, une ligne bleue, c’est le Jura. Et au-delà, bien au-delà, par les jours clairs, à la veille des pluies, dans le ciel, une imperceptible ligne blanche, quelque chose d’indiqué à peine ou plutôt de deviné, ce sont les Alpes, les Alpes des Helvètes battus, là, par César, et c’est leur chemin même que l’œil parcourt, d’ici, sans obstacle.

Quelle entrée superbe, quelle descente allègre et joyeuse sur la Côte-d’Or, par la route qui dévale des Grands Chaumes et qui se précipite sur Nolay ! Le cheval trotte et fait sonner ses grelots ; la voiture roule vers la bonne terre qui s’ouvre en bas. Un dirait que le ciel veut se mettre de la partie. Hue courte averse nous avait surpris, après l’arrêt de Bel-Air ; mais le soleil sort du nuage et un arc-en-ciel se déploie sur l’immense vallée. Elle resplendit dans le contraste de la lumière el. de l’ombre, et l’on dirait un monde féerique, je ne sais quel coin des Mille et une Nuits dans lequel, par la porte triomphale, nous allons pénétrer.

C’est, tout simplement, la bonne et savoureuse Bourgogne. Nous sommes à la Rochepot, bientôt à Nolay, d’où nous prendrons la Saône, à Chalon, et nous entrerons ainsi dans les pays méditerranéens.


Il est trop aisé de se rendre compte, maintenant, de l’importance de la région parcourue. Contre l’envahisseur venant du Rhône, le refuge est inévitablement ici. Les populations ont remonté le fleuve ; elles ont suivi le cours des rivières ; car, la vallée, ce n’est pas seulement l’eau, c’est la nourriture pour les hommes et pour les animaux. Où se réfugier ? Non pas dans les montagnes, inaccessibles et incultes, où l’on mourra de faim et où l’on s’isolera de tout le monde. On remonte encore ; mais la vallée est intenable et de poursuite trop facile. Or, le Morvan